______________________________
Le vieil adage connu des urbanistes et des observateurs pragmatiques se vérifie là comme ailleurs :
- "chaque fois que l'on relie la campagne à la ville, on tue la campagne."
(nb: un "clic" sur les vignettes vous donne une vue agrandie, dans une fenêtre distincte)
Il y a vingt ans, Saint-Georges était un petit bourg totalement enclavé situé sur le fleuve frontière "Oyapock." Les habitants avaient des relations privilégiées avec leurs vis-à-vis brésiliens d'Oiapoque… au moins autant voire davantage qu'avec ceux de Cayenne, "capitale" de la Guyane.
Un ou deux vols quotidiens d'Air-Guyane assurés par des Twin-Otters de 18 places suffisaient largement pour couvrir les déplacements indispensables vers l'intérieur guyanais - d'autant plus que le prix du billet était modique (encore moins élevé pour ceux qui avaient une carte de résident, grâce à une subvention régionale qui se justifiait au nom du désenclavement et gratuit quand c'était pour raison médicale dûment constatée par le médecin local.).
Le "ravitaillement" se faisait deux ou trois fois par mois grâce à une barge, le "Normelia" qui laisse aux habitants un souvenir attendri et amusé : son équipage ne pouvait pas passer près d'un banc de sable ou d'un rocher sans s'y échouer ou percer sa coque ; il lui arrivait aussi d'oublier l'existence de la marée, et le rafiot serré de trop près contre l'estacade la faisait voler en éclat quand il était soulevé par celle-ci. Quant au São Pedro qui voguait auparavant sur ce trajet, splendide "lancha" à voiles assistées d'un gros diesel poussif, il prenait également des passagers pour des "croisières" mémorables.
"Privilège" des villes frontières aidant, respecté pratiquement partout dans le monde, les Saint-Gorgeois allaient librement "en face" acheter ce qui manquait ou qui était à meilleur compte, ou pour écouter de la musique, boire une bière fraîche. Le choix était limité, certes, mais la viande brésilienne est délicieuse et ne coûte à peu près rien, les haricots rouges ou noirs tout comme le riz ne manquaient pas. Dans le sens inverse, nos amis brésiliens traversaient pour acheter de la lessive (à meilleur compte), les sardines à l'huile dont ils raffolent, et passaient de temps à autre au dispensaire quand leur centre de santé (pitoyable à l'époque) ne pouvait les assister : le moustique vecteur du paludisme ne connaît pas les frontières et c'était de l'intérêt de tous de soigner un malade... D'autant plus que si le mal est des plus sérieux, les bons vieux remèdes efficaces à l'époque, chloroquine et quinine, ne coûtent à peu près rien. De temps en temps (fort rarement) une "évasan" transportait par hélicoptère un blessé ou un malade vers l'hôpital de Cayenne. A noter que malgré ces conditions objectivement "désastreuses", le taux de mortalité infantile tout comme l'espérance de vie moyenne n'étaient en rien problématiques par rapport au reste de la Guyane.
Ainsi, les Oyapockois se dépatouillaient comme ils pouvaient, à la manière de leurs ancêtres : les abattis donnaient fruits et légumes en abondance, la pêche, la chasse et les poulaillers fournissaient la plus grande partie des protéines (et alimentaient de la même manière deux ou trois petits restaurants, pour la plus grande satisfaction des touristes et des habitants venant se payer un petit plaisir) : Bruxelles et ses normes sanitaires implacables ne venaient pas nous briser les roustons. Un habitant avait acheté la machine adéquate, et fabriquait sur place les parpaings nécessaires à la construction locale; d'autres tiraient des planches de la forêt grâce aux "gruminettes" (ou les faisaient venir en contrebande du Brésil, mais le dommage n'était pas bien grand puisque cela ne lésait personne).
Les gamins pouvaient jouer en toute sécurité sur les chaussées parcourues seulement par la voiture des gendarmes, celle des douaniers, le camion des pompiers, un "véhicule sanitaire", la jeep du camp de la Légion (le plus souvent désert, mais qui reçoit parfois des sections en manœuvres) et le tracteur avec remorque qui ramassait les ordures.
Tout s'est dégradé quand on a entrepris de "désenclaver Saint-Georges, pour favoriser son développement économique" (sic). Du côté français, une entreprise titanesque au regard des enjeux : la réalisation du pont sur l'Approuague, de la RN2 selon des standards "DDE", qui a pratiqué une saignée calamiteuse sur le plan écologique au travers d'une des zones naturelles parmi les plus riches de Guyane. Pour "favoriser" le passage de la faune d'un bord à l'autre on a certes ménagé des "couloirs écologiques", la route étant alors très étroite : cela permet seulement aux chasseurs de savoir avec précision où se poster pour canarder avec certitude de réussite, alors qu'en Guyane, le gibier "se mérite" habituellement par un grand savoir-faire et un effort physique hors du commun. Résultat, les viandards qui braconnent à grande échelle massacrent la faune, et les vrais chasseurs rentrent souvent bredouilles.
.
Les commentaires récents