_______________________________
Je ne peux penser à Belém sans y associer le tacacá, petit plat populaire qui se déguste à tous les coins de rues, véritable "marqueur" de la ville. Il n'est pas rare de voir, devant une échoppe de vendeur de tacacá, assis côte à côte un portefaix, une vendeuse de magasin et un avocat (portant costume et cravate impeccables malgré la chaleur ambiante).
Le tacacá, c'est toute une alchimie à partir d'ingrédients qu'on ne trouve que dans certaines contrées du nord de l'Amazonie.
En haut à gauche, le tucupi, sauce à base de manioc qu'il faut préparer avec soin et méthode car elle peut être éminemment toxique si elle n'a pas mijoté des heures et des heures, afin d'éliminer toute trace de l'acide prussique contenu dans cette plante.
Le tucupi est gardé très chaud, et assaisonné avec du piment en quantité raisonnable comme partout au Brésil (contrairement aux coutumes créoles: là-bas on a tendance à associer virilité et aptitude à en consommer un maximum, même si la saveur originelle du plat est totalement détournée)
A droite du flacon de tucupi, les feuilles de jambu, la plante qui frémit sous la langue comme un baiser de jeune fille. C'est effectivement une sensation de pétillement que l'on ressent, quand on la garde en bouche là où les muqueuses sont les plus réceptives.
Cinq à sept grosses crevettes salées, étêtées mais non équeutées pour qu'elles puissent être saisies facilement. On vous donnera un palito, (petit cure-dent) pour vous aider à les attraper - mais celui qui demanderait une cuiller pour manger son tacacá serait immédiatement et définitivement classé "gringo" - avec ce que cela comporte de malice et d'amusement.
La goma de tapioca est aussi gardée très chaude. Il faut un bon tour de main pour la réussir sans qu'elle fasse de grumeaux.
Tous les ingrédients sont réunis.
On prend une calebasse (là encore, pas d'autre récipient concevable), on la remplit avec un peu de sauce de tucupi très chaude, on ajoute des feuilles de jambu, la goma de tapioca, les crevettes, on remet du tucupi pour que la goma soit "misturada" avec la sauce.
"Pimente?" vous demande-t-on courtoisement... Avec une macération de piments dans du tucupi contenue dans une petite bouteille, vous pouvez, si vous le désirez, ajouter un peu de "chaleur"
On déguste un tacacá, on ne le consomme pas à la va-vite! Il faut aspirer, au bord de la calebasse, un mélange de sauce et de goma, prendre de temps à autre du jambu ou une crevette avec le palito et rendre une calebasse vidée jusqu'à sa dernière goutte. Un grand verre d'eau glacée juste après, et on est requinqué pour un moment.
Consommer un tacacá, c'est la première chose que je fais à Belém, juste après avoir posé mes affaires. Et très rares sont les jours où je n'en prends pas (ces autres jours, je me penche sur une bolée d'Açai, dont nous aurons l'opportunité de reparler)
Vendeuse de tacacá.
Derrière, à gauche, le marché aux poissons du célèbre Ver O Peso
Et au Ver O Peso ("voir le poids"), justement, il est possible d'acheter des bouteilles de molho de tucupi.
Le gaz est trop coûteux pour qu'on puisse la préparer à la maison, et les réchauds de charbon de bois sont de moins en moins employés à demeure: les palafitas sont en bois sec, et il suffit de quelques minutes pour qu'une famille perde le peu de ce qu'elle possède...
benjamin borghésio
Les commentaires récents