Tout d'abord, un grand merci aux amis et aux lecteurs qui me posent des questions précises en privé, manifestant ainsi leur intérêt mais, grands dieux, pourquoi ne pas le faire directement sur le blog? Questions et réponses sont d'intérêt général la plupart du temps d'une part, et cela m'évite en outre de répéter les choses d'autre part!^^
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Les attaques personnelles d'une violence inouïe jaillissent depuis les deux camps… avec une petite nuance. Dilma tape là où ça fait mal sans avoir besoin de chercher la petite bête** et Serra est contraint de répondre par la tangente, vu l'héritage de Cardoso "qu'il assume entièrement" et vu son action à la tête de l'état le plus riche de la fédération (São Paulo: aucun gouverneur ne dispose de telles ressources et pourtant les besoins de la population sont criants).
** Il ne faudra pas titiller Dilma quand elle sera élue, ce qui est vraisemblable même si jamais rien n'est joué d'avance : Vox Populi lui donne 51% contre 39 à Serra. Parce que dans le genre "dame de fer" – progressiste et humaine celle-là – elle fera vite oublier Thatcher tant elle est peu commode!
Il me semble qu'il y a deux types de "spots" télévisés: ceux qui relèvent de la publicité et qui sont payés par les comités soutenant les candidats – et là tous les coups ou presque sont permis – et ceux qui dépendent de la propagande officielle, davantage contrôlés par la "justice électorale".
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Ce que l'on constate au niveau fédéral se retrouve au niveau des états. Ana Julia (PT, état du Para, capitale Belém), a suavement rappelé dans un spot que lorsque Lula a pris ses fonctions il y a huit ans, son concurrent actuel, gouverneur à l'époque, fut le seul de ses pairs à ne pas répondre à une invitation formulée par Lula en signe de bienvenue et pour préparer la collaboration à venir. Motif: une partie de pêche ; et une photo de "Jatene" hilare, sur son bateau, exhibant une prise spectaculaire, photo passe sur toutes les télés. Amusant, même si ça ne changera rien au résultat local: Ana Julia sera écrasée.
Aujourd'hui, des abrutis se disant du PT ont balancé un rouleau de scotch sur la tête de Serra, lors d'un meeting.
Ce dernier, décidément très fragile, est allé passer un scanner avant d'évoquer des méthodes "nazies" (alors même que l'ensemble du PT a condamné catégoriquement et immédiatement ce genre d'agissements évidemment inacceptables… s'il ne s'agit pas d'une provocation montée de toute pièce). Là encore, l'excès de la réaction sonne faux et semble devoir se retourner contre Serra.
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Dans l'état du Para, comme prévu depuis le premier tour, les jeux sont faits, semble-t-il. Le dernier sondage qui court donne 60% à 'Jatene' (droite libérale, allié de Serra au sein du PSDB) contre 40% à Ana Julia (PT, allié de Lula qui s'est pourtant dérangé et a envoyé Dilma la soutenir) alors même que sur le plan fédéral, Dilma (PT) est toujours en tête dans cet état.
Ana Julia paye son incompétence crasse dans la manière dont elle a "géré" les affaires de l'état... sans que l'on puisse dire que Jatene soulève l'enthousiasme... Le taxi qui m'a raccompagné hier soir me l'a dit: " je voterai Jatene parce que je suis en colère contre Julia, mais sans aucune illusion: il a été gouverneur de cet état pendant quatre ans - avant Julia - et lui non plus, il n'a rien fait"!
Quelques exemples de cette incompétence crasse? Je parlerai de la sécurité, de la santé, de l'éducation.
A la manière des "socialistes" français, Julia a répété des années durant que l'insécurité (absolument terrifiante dans l'état, à Belém en particulier, ville dont de nombreuses rues sont désertes dès la nuit tombée à cause de cela), cette insécurité donc était "la conséquence inévitable de la misère et de la pauvreté".
Outre que c'est insulter gravement la grande masse des gens très pauvres et qui demeurent d'une honnêteté scrupuleuse envers et contre tout, c'est faire bon marché du besoin de sécurité dont ces pauvres ont besoin avant tous les autres.
En effet, les classes moyennes et supérieures ont les moyens de loger dans des "condominios" gardés comme des camps de concentration (sauf que les fils électriques et parfois les miradors - je n'exagère pas, c'est bien de cela qu'il s'agit – sont là pour empêcher les intrusions et non pour prévenir les évasions) quand les pauvres sont agressés violemment de jour comme de nuit, dans la rue comme chez eux.
Changement de cap, à 180° récemment, avec l'embauche de milliers de policiers militaires qui coûtent très cher, dont la formation est approximative et la moralité d'une bonne part d'entre eux plus que douteuse (la population les déteste et en a peur à cause de la violence mal appliquée, de la corruption et des innombrables complicités constatées parfois entre ses membres et la pègre). Seulement ces flics, on ne les voit pas davantage qu'auparavant... sauf dans leurs postes où ils stationnent souvent par dizaines en devisant aimablement.
Je fais la comparaison avec Belo Horizonte qui n'a proportionnellement pas plus de policiers que Belém, mais dont les rues sont littéralement quadrillées de "cabos" isolés - un tous les cent ou deux cents mètres plus les caméras - et qui lancent "uma chamada" par radio pour mander des patrouilles motorisées dès que quelque chose de suspect semble prendre corps. De ce fait, alors que dès 18h30 on prend un taxi à Belém (si on en a les moyens) ne serait-ce que pour faire 500 mètres, on marche en sécurité sur les trottoirs de "BH" à minuit.
Pour préciser ce que j'avance: cela fait des années que la "Praça da Relogio" (haut lieu touristique de la vieille ville de Belém, tout comme point de passage quasi obligé de nombreux habitants puisqu'énormément de lignes de bus y passent) est considérée comme extrêmement dangereuse le soir, la nuit et le dimanche (c'est là que pour avoir baissé la garde quelques minutes, j'ai été agressé violemment, et je ne m'en suis sorti que parce que j'ai eu la sagesse de ne presque pas résister).
Il suffirait d'y mettre un point de surveillance surélevé comme cela se fait dans nombre de villes brésiliennes avec un "cabo" sûr et à même d'actionner une patrouille dès que c'est nécessaire, et le problème serait résolu. Depuis des années, rien n'est fait. Imagine-t-on la place de la Concorde devenant un lieu mal famé et le demeurant des années durant sans que les autorités s'en émeuvent? (à noter que cette "place de l'horloge" se situe devant… la mairie de Belém et le palais du gouverneur!)
Autre exemple de non gestion, celui là concernant la santé.
Il n'est quasiment pas de jour sans que la presse locale dénonce la mort scandaleuse d'un malade ou d'un blessé qui a attendu des heures avant qu'une ambulance ne vienne le quérir sur le lieu du drame pour qu'il soit vu par un "résidente" (interne), lesquels sont débordés et épuisés. Dans les hôpitaux publics de Belém, on peut fort bien "patienter" des heures avec une forte hémorragie, un infarctus aigu, un AVC, un coma diabétique etc. sans même qu'une infirmière ait pu jeter le moindre coup d'œil sur vous.
De ce fait, les gens qui en ont les moyens transportent leurs proches en ... taxi jusqu'au poste de santé le plus proche (on imagine les conséquences du transport si la colonne vertébrale, par exemple, est touchée), taxi dont le chauffeur prendra le temps de protéger les sièges et le sol s'il y a hémorragie avant de démarrer - et cela ne résout pas le problème ultérieur de l'attente dans l'hôpital. Dimanche dernier, j'ai vu emmener ainsi en urgence une femme qui avait fait une tentative de suicide par absorption de médicaments, qui a été transportée dans un coma profond en taxi au "pronto socorro" où elle a attendu cinq heures un examen suivi d'un lavage d'estomac. Il n'y avait guère que moi pour m'étonner, si je n'étais pas seul à m'indigner…
Bien entendu, les personnes des classes moyennes et supérieures qui ont les moyens de se payer une assurance santé très chère (la mensualité peut facilement dépasser la valeur d'un salaire minimum par personne) ont recours à des ambulances privées qui arrivent dans les dix minutes pour les emmener vers des hôpitaux privés eux aussi, à la pointe de tout ce qui se fait en matière de médecine.
Les Paraenses, pas plus bêtes que d'autres, savent qu'Ana Julia ne pouvait résoudre ces problèmes en quatre ans.
Mais ils n'ont vu aucune évolution et, la population de l'état augmentant, ils constatent même des aggravations notables.
D'où leur colère légitime… qui va en augmentant devant une autre préoccupation majeure : l'indigence de l'enseignement public. Là encore, un impôt indirect frappe les catégories modestes contraintes de se saigner aux quatre veines pour mettre leurs enfants dans un collège "particular" s'ils veulent leur éviter la violence, la drogue en vente libre et l'échec scolaire quasiment garantis. (ces "particulares" sont des affaires très lucratives et faute d'un contrôle vigilant, souvent aussi mauvais que les "publicos" en dépit des apparences - quand ils ne servent pas à une propagande religieuse effrénée et affreusement primitive: les sectes protestantes, en particulier, en font leur miel)
De la droite et de ses amis naturels, on n'attend rien quand on vit dans une favela sordide de Belém. Donc quand ils sont au pouvoir (comme le maire de Belém, cassé pour corruption mais qui se maintient à coups de recours suspensifs hilarants – la justice brésilienne offre des recours inouïs pour les puissants un peu habiles), ses membres ne risquent pas de décevoir, s'ils mettent évidemment souvent leurs victimes en colère.
Mais d'une femme quasiment cofondatrice du PT, qui certes "y va bien de la gueule" mais qui se révèle incapable de gérer et de programmer ce qui est nécessaire, on attendait beaucoup. Alors devant le néant, on s'indigne et la sanction tombe.
Souhaitons que le PT du Para saura faire le ménage dans ses rangs; se débarrasser de ses caciques, renouveler les générations, aller dans les quartiers populaires, réécouter les gens et agir en faveur d'eux.
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On permettra au jacobin irréductible que je suis de déplorer une fois de plus les ravages des systèmes fondés sur la décentralisation, le fédéralisme brésilien poussé à l'extrême étant un des pires.
Parce qu'en dehors des clivages politiques évidents (les privatisations à outrance faites par Serra et ses prédécesseurs dans l'état de São-Paulo, qui n'ont rien rapporté et qui entraînent des dégradations de service tout comme des bénéfices obscènes pour les accapareurs, à l'opposé des politiques publiques très fortes ailleurs), il est évident que l'équation personnelle de tel ou tel dirigeant plus ou moins compétent et intègre joue dans un sens ou dans un autre.
Et le gouvernement fédéral est, quoiqu'on en dise, ce qui fonctionne le moins mal au Brésil… Hélas son pouvoir est très limité par les innombrables féodalités locales.
Benjamin.
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