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Il n'est évidemment pas question de présenter la Tunisie, de près ou de loin, comme un modèle de démocratie ou même comme un régime autoritaire inspiré (on notera néanmoins qu'il suscite beaucoup d'affection chez nombre de dirigeants se targuant de respecter la démocratie)
Ben Ali est bel et bien un potentat qui règne par la censure, la répression, le népotisme et la corruption, cela dans le but de maintenir envers et contre tout son propre pouvoir dictatorial. Sa prise de pouvoir, suite au gâtisme de Bourguiba qui lui même, après des débuts prometteurs, ne fut guère un parangon de la liberté, a donné des espoirs vite déçus.
Mais je suis - et je demeure - toujours surpris de la différence de traitement selon que l'on parle de tel ou tel pays du Maghreb. Posez la question: "dictature en Afrique du nord, qu'est-ce-que cela évoque pour vous?" et neuf fois sur dix on vous répondra: "Tunisie, bien sûr!"
Je ne sache point, pourtant, que le Maroc soit beaucoup plus démocratique - n'évoquons pas l'horreur des répressions sous le règne interminable d'Hassan 2, mais son fils, "M6", qui suscita beaucoup d'espoir n'a changé la donne qu'aux marges.
On met toujours des journalistes en prison pour huit ans au Maroc, pour simple délit de presse du genre "atteinte à la personne de sa Majesté, Commandeur des Croyants"; la justice est toujours aussi aléatoire et corrompue, et les Saharouis ne voient en rien leur situation évoluer.
Faut-il aussi parler de la "démocratie algérienne", jamais remise de l'immonde guerre civile des années 90 (après un long régime militaire), guerre qui a fait davantage de victimes que la guerre d'indépendance, et sur laquelle il est toujours interdit de s'exprimer?
De la raison d'état qui empêche (en France aussi!) de s'exprimer sur telle ou telle "bavure", massacre ou exactions sans nom, sur telle ou telle amnistie inacceptable? (Aurait-on amnistié les SS de la division Totenkopf en 1946?)
Des élections autant truquées que dans le pays voisin tant honni?
On pourrait aussi évoquer la Lybie... Mais là je ne crois pas avoir besoin de trop développer.
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La relative réussite économique et sociale n'excuse pas le déni de démocratie; mais il n'est quand même pas interdit de l'évoquer.
La Tunisie ne bénéficie que très peu de la manne de l'Or Noir au contraire de l'Algérie et de la Lybie. (ses ressources équivalent à 50% de sa consommation propre)
Son industrie touristique fondée sur la masse plutôt que sur le luxe dans des sites marocains prestigieux développe moins de plus-value qu'au Maroc, lequel exporte également des millions de tonnes de phosphate.
Avec sa rente pétrolière et gazière énorme, l'Algérie aurait fort bien pu développer une économie de production, initier des programmes de logement qui font gravement défaut, limiter les hausses de prix alimentaires. Elle ne l'a jamais fait.
Il n'empêche. On dira tout ce qu'on voudra mais en Tunisie, les gosses sont à l'école et pas dans la rue à mendier voire à se prostituer massivement, comme au Maroc. (on se souviendra avec profit de ce récent reportage épouvantable en caméra cachée, sur le trafic pédo-criminel qui sévit librement à Marrakech; réf. "Envoyé spécial")
En Tunisie, un système de santé universel bénéficie à chacun. Les logements sont décents, même dans des endroits reculés.
Il y existe en Tunisie une mini "Silicon Valley" qui procure des milliers d'emplois hautement qualifiés.
C'est là et pas ailleurs au Maghreb que nos centres d'appels s'installent, le bilinguisme étant quasiment universel et de qualité de même que les compétences techniques de la main d'oeuvre (autant une délocalisation boursière me révulse, autant une nouvelle implantation là plutôt que "chez nous" me laisse plus nuancé: on ne peut pas à la fois se battre contre l'immigration économique et ne donner aucune perspective d'emploi à des populations envers lesquels, que nous le voulions ou non, nous avons des responsabilités de par notre histoire)
Nous pourrions aussi évoquer la condition des femmes, autrement meilleure en Tunisie qu'ailleurs dans la région: polygamie interdite de même que le droit de répudiation (certes en cas de divorce - qu'elle est d'ailleurs en droit de demander elle même - la femme est encore partiellement lésée dans le partage des biens, mais on est loin de la situation prévalant dans les pays voisins). Celle des Juifs aussi, qui sont encore quelques dizaines de milliers à vivre dans le pays en bonne intelligence avec leurs voisins musulmans, et souvent dans de bien meilleures conditions sociales que ceux qui ont émigré en Israël.
Alors pourquoi cet acharnement on va dire... sélectif dans la dénonciation des dictatures maghrébines?
Peut être que la mauvaise conscience de la classe bobo française après la Guerre d'Algérie joue encore un rôle tout comme - en gardant les proportions bien évidemment - l'Allemagne se sent encore dans une position telle qu'il lui est interdit de critiquer peu ou prou Israël (qui la remettrait vite fait et bien fait dans les cordes, mais qui empoche tout de même chaque année des milliards d'euros venant de ce pays au titre des réparations, comme si réparer les torts passés envers les Juifs équivalait à soutenir un état, quel qu'il soit)
Peut être aussi parce que l'oligarchie marocaine a on dira... plus que d'autres le sens de l'hospitalité et de la générosité? Quel politique ou "homme d'influence" français de maintenant ou potentiellement d'avenir, ne bénéficie-t-il pas d'accueils somptueux à la Mamounia, dans telle ou telle somptueuse Ryad voire d'un palais royal quand il n'en possède pas un comme Dominique Strauss-Kahn ou Béhachel?
La rumeur fait état, d'ailleurs au Maroc, de scandales de moeurs impliquant des notables français discrètement exfiltrés, rumeur qui donnerait à penser que nos "élites" se permettraient là-bas ce qu'elles n'osent plus faire chez nous. On se souviendra aussi de l'ex ministre des affaires étrangères, le pitoyable Douste Blazy qui fit là-bas plusieurs milliers d'euros de dégâts en pulvérisant une suite d'hôtel lors d'un différend... conjugal et qui est parti sans payer la note.
La Tunisie n'offre pas un tel cadre et sauf Delanoé qui y a des attaches profondes (il en est natif, d'ailleurs comme DSK est né au Maroc) elle n'a pas su, ou pu faire un tel "lobbying"(le dit Delanoé, s'il séjourne souvent à Bizerte, ne se mêle ni de près ni de loin au contexte local)
Alors ne pourrait-on pas raison garder et équilibrer quelque peu les critiques sans pour autant exonérer Ben Ali, bien entendu?
Est-on vraiment sûr que dans tout le Maghreb (au sens large: j'inclus la Lybie) ce soit en Tunisie que la situation mérite le plus la condamnation unanime de nos médias? (c'est cette unanimité, justement, qui me gêne)
Et se souvenir que les conseilleurs ne sont pas les payeurs. "Armons-nous et partez", c'est un peu facile. Si les Tunisiens - comme les Algériens ou les Marocains voire les Lybiens - doivent s'émanciper un jour, ce sera de leur fait. Dans un contexte fort délicat.
Vous détestez la Tunisie de Ben Ali? Allez-y de la gueule d'une façon inconsidérée, et vous adorerez peut être une Tunisie soumise à Al Qaida, juste en face de chez nous, avec des relais familiaux potentiels .
Mais en attendant, le cul dans votre fauteuil, ne poussez pas des gens réellement désespérés à finir comme cela (voir les photos), au nom des Grands Principes. C'est un peu facile. Beaucoup trop facile, même.
Ou alors partez-là-bas avec vos litres d'essence et votre briquet. Pour vous en servir sur vous même.Il n'y a rien de plus répugnant, que l'exploitation du désespoir des autres à des fins d'auto-glorification.
Benjamin.
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