(2) Tension diplomatique.
Les ambassadeurs des deux puissances ont échangé des vues
au sujet de la question du Maroc.
Les journaux (été 1911).
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Extrait de La Guerre des Boutons, "roman de ma douzième année" de Louis Pergaud, un des Grands que le boucherie de 14-18 nous a enlevés prématurément.
Ecrit en 1912, ce délicieux roman nous démontre s'il en était besoin que les enfants du siècle passé n'avaient rien à envier à nos chérubins, tant pour le verdeur du langage que pour la rusticité des moeurs. Rafraichissant.
A lire ou à relire sans modération.
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Or, il n’y avait pas cinq minutes qu’on avait fini son pain, que Camus le grimpeur, posté en vigie dans les branches du grand chêne, signalait des remuements suspects à la lisière ennemie.
– Quand je vous le disais, constata Lebrac ! Calez-vous, hein ! qu’ils croient que je suis tout seul ! Je m’en vas les houksser16 ! kss ! kss ! attrape ! et si des fois ils se lançaient pour me prendre… hop !
Et Lebrac, sortant de son couvert d’épines, la conversation diplomatique suivante s’engagea dans les formes habituelles :
(Que le lecteur ici ou la lectrice veuille bien me permettre une incidente et un conseil. Le souci de la vérité historique m’oblige à employer un langage qui n’est pas précisément celui des cours ni des salons. Je n’éprouve aucune honte ni aucun scrupule à le restituer, l’exemple de Rabelais, mon maître, m’y autorisant. Toutefois, MM. Fallières ou Bérenger ne pouvant être comparés à François Ier, ni moi à mon illustre modèle, les temps d’ailleurs étant changés, je conseille aux oreilles délicates et aux âmes sensibles de sauter cinq ou six pages. Et j’en reviens à Lebrac ):
.
– Montre-toi donc, hé grand fendu, cudot, feignant, pourri ! Si t’es pas un lâche, montre-la ta sale gueule de peigne-cul ! va !
– Hé grand’crevure, approche un peu, toi aussi, pour voir ! répliqua l’ennemi.
– C’est l’Aztec des Gués, fit Camus, mais je vois encore Touegueule, et Bancal et Tatti et Migue la Lune : ils sont une chiée.
Ce petit renseignement entendu, le grand Lebrac continua :
– C’est toi hein, merdeux ! qu’as traité les Longevernes de couilles molles. Je te l’ai-t-y fait voir moi, si on est en des couilles molles ! I gn’a fallu tous vos pantets17 pour effacer ce que j’ai marqué à la porte de vot’église ! C’est pas des foireux comme vous qu’en auraient osé faire autant.
– Approche donc « un peu » « pisque » t’es si malin, grand gueulard, t’as que la gueule… et les gigues18 pour « t’ensauver » !
– Fais seulement la moitié du chemin, hé ! pattier19 ! C’est pas passe que ton père tâtait les couilles des vaches20 sur les champs de foire que t’es devenu riche !
– Et toi donc ! ton bacul où que vous restez est tout crevi21 d’hypothèques !
– Hypothèque toi-même, traîne-besache22 ! Quand c’est t’y que tu vas reprendre le fusil de toile de ton grand-père pour aller assommer les portes à coups de « Pater » ?
– C’est pas chez nous comme à Longeverne, où que les poules crèvent de faim en pleine moisson.
– Tant qu’à Velrans c’est les poux qui crèvent sur vos caboches, mais on ne sait pas si c’est de faim ou de poison.
Velri Pourri
Traîne la Murie23
À vau les vies
Ouhe !… ouhe !… ouhe !… fit derrière son chef le choeur des guerriers Longevernes incapable de se dissimuler et de contenir plus longtemps son enthousiasme et sa colère.
L’Aztec des Gués riposta :
Longeverne
Pique merde,
Tâte merde,
Montés sur quatre pieux
Les diabl’ te tir’ à eux !
Et le choeur des Velrans applaudit à son tour frénétiquement le général par des Euh ! euh ! prolongés et euphoniques. Des bordées d’insultes furent jetées de part et d’autre en rafales et en trombes ; puis les deux chefs, également surexcités, après s’être lancé les injures classiques et modernes :
– Enfonceurs de portes ouvertes !
– Étrangleurs de chats par la queue24 ! etc., ctc., revenant au mode antique, se flanquèrent à la face avec toute la déloyauté coutumière les accusations les plus abracadabrantes et les plus ignobles de leur répertoire :
– Hé ! t’en souviens-tu quand ta mère p… dans le rata pour te faire de la sauce !
– Et toi, quand elle demandait les sacs au châtreur de taureaux pour te les faire bouffer en salade !
– Rappelle-toi donc le jour où ton père disait qu’il aurait plus d’avantage à élever un veau qu’un peut25 merle comme toi !
– Et toi ? quand ta mère disait qu’elle aimerait mieux faire téter une vache que ta soeur, passe que ça serait au moins pas une putain qu’elle élèverait !
– Ma soeur, ripostait l’autre qui n’en avait pas, elle bat le beurre, quand elle battra la m… tu viendras lécher le bâton ; ou bien : elle est pavée d’ardoises pour que les petits crapauds comme toi n’y puissent pas grimper !
– Attention, prévint Camus, v’là le Touegueule qui lance des pierres avec sa fronde.
Un caillou, en effet, siffla en l’air au-dessus des têtes, auquel des ricanements répondirent, et des grêles de projectiles rayèrent bientôt le ciel de part et d’autre, cependant que le flot écumeux et sans cesse grossissant d’injures salaces continuait de fluctuer du Gros Buisson à la lisière, le répertoire des uns comme des autres étant aussi abondant que richement choisi.
Mais c’était dimanche : les deux partis étaient vêtus de leurs beaux affutiaux et nul, pas plus les chefs que les soldats, ne se souciait d’en compromettre l’ordonnance dans des corps à corps dangereux.
Aussi toute la lutte se borna-t-elle ce jour-là à cet échange de vues, si l’on peut dire, et à ce duel d’artillerie qui ne fit d’ailleurs aucune victime sérieuse, pas plus d’un côté que de l’autre.
Quand le premier coup de la prière sonna à l’église de Velrans, l’Aztec des Gués donna à son armée le signal du retour, non sans avoir lancé aux ennemis, avec une dernière injure et un dernier caillou, cette suprême provocation :
– C’est demain qu’on vous y retrouvera, les couilles molles de Longeverne !
– Tu fous le camp ! hé lâche ! railla Lebrac ; attends un peu, oui, attends à demain, tu verras ce qu’on vous passera, tas de peigne- culs !
Et une dernière bordée de cailloux salua la rentrée des Velrans dans la tranchée du milieu qu’ils suivaient pour le retour.
Les Longevernes, dont l’horloge communale retardait ou dont l’heure de la prière était peut-être reculée, profitèrent de la disparition des ennemis et prirent pour le lendemain leurs dispositions de combat.
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16 Exciter contre quelqu’un, se dit surtout des chiens.
17 Pantets, pans de chemise.
18 Jambes.
19 Pattier, marchand de pattes, c’est-à-dire de chiffons, de guenilles.
20 Authentique.
21 Couvert.
22 Besace.
23 Vies, voies, chemins.
24 De mon temps on ne parlait pas encore de roulure de capote ni d’échappé de bidet. On a fait des progrès depuis.
25 Vilain.
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