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C'est le billet d'humeur du jour, sur le blog ami A(c)Tu) (lien) qui m'a donné envie de développer le sujet aujourd'hui (encore que cela fait un moment que ça me trotte dans la tête)
Pour faire "honnête", nous tenterons d'instruire à charge et à décharge. Ma propre expérience d'enseignant dans un collège, qui plus est à un carrefour où l'on voyait passer peu ou prou tous les élèves puisque j'officiais dans le Centre de documentation et d'information et qu'en plus je faisais plus ou moins office de conseiller d'orientation à temps partiel me pousse à... confirmer peu ou prou la véracité et la crédibilité de ces statistiques - sachant qu'elles masquent des disparités colossales selon les milieux sociaux auxquels appartiennent les élèves, les établissements et, il faut bien le dire, la qualité de l'enseignement reçu en maternelle puis à l'école élémentaire. Dans certaines écoles, cette proportion est très largement dépassée, dans d'autres elle est minime.
La question est: pourquoi attendre le CM2 pour révéler le problème, qui plus est selon de mauvaises méthodes?
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Des "difficultés graves dans la maîtrise du français et des mathématiques"
Déjà, je ne m'avance pas beaucoup en disant que ce constat est en partie biaisé. Parce que quand on ne maîtrise pas la langue française (dans le cas qui nous préoccupe: la langue vernaculaire dans laquelle on enseigne), on est forcément en difficulté grave dans toutes les matières.
Si vous ne percevez pas la différence entre un futur et un conditionnel, si vous ne comprenez pas la moitié du lexique employé par le maître, vous allez vous planter, c'est certain.
J'en ai fait la démonstration un jour devant un parterre d'enseignants qui étaient habituellement en face d'un public scolaire très majoritairement non francophone. Je leur ai fait un exposé basique sur la technologie employée lors de la construction d'un barrage hydraulique destiné à produire de l'énergie, mais que j'exprimais dans une sorte de sabir par moi inventé, composé de français et de portugais.
Mis dans la situation de l'élève qui devait se dépatouiller avec une méconnaissance de la langue d'enseignement, mes collègues ont réalisé pour de bon ce que c'était que de subir l'échec scolaire, et en plus de devoir rester concentré une heure dans ces conditions (ou du moins feindre de le demeurer - et vous conviendrez, je suppose, que c'est plus facile quand on est adulte que quand on est un gosse de sept à dix ans)
J'entends déjà l'objection: "il nous gave avec la problématique des enfants d'origine étrangère!" (sous entendu: qui font baisser le niveau) Que nenni, braves gens!
J'évoque là l'incroyable disparité entre des gamins qui entrent dans le "cycle 2" (pour faire techno et prétentieux: c'est à dire les classes de GS de maternelle, de Cours Préparatoire et de CE1) avec 300 mots de vocabulaire pour certains - et une syntaxe des plus défaillantes -, aucun référent culturel autre que TF1, la sortie hebdomadaire à l'hypermarché du coin voire à la banque alimentaire, et en face des enfants qui ont déjà, à cet âge, beaucoup voyagé, dont les parents ont veillé à ce qu'ils aient une vie aussi riche que possible sur le plan de la culture, de la pratique sportive, etc. - en tombant parfois dans l'excès: il faudrait parfois une assistance de direction extrêmement qualifiée pour gérer le planning de bouts-de-choux contraints de cavaler entre le conservatoire, le gymnase, le musée, etc. sans qu'on dégage un créneau pour câliner nounours, jouer avec quelques cubes ou habiller barbie. Temps éminemment perdu à six ans, comme chacun sait.
Kevin et Jennifer d'un côté, Aymeric et Anne Aymone de l'autre (et je ne parle même pas de Moussa et de Rachida)
C'est là que tout est joué d'avance. Vous êtes, à six ans, sur une piste d'athlétisme pour faire un cent mètres, avec des concurrents qui bénéficient des meilleures chaussures, d'un "coach" avisé, de vêtements ajustés, et de vingt mètres d'avance. Les autres, derrière, sont chaussés de rangers et portent un sac de dix kilos. Mais on a déclaré que la compétition était régulière et effectivement, parfois, un de ceux qui sont partis en retard avec leur barda gagne la course, ou du moins termine dans les meilleurs. C'est évidemment ce "modèle" qui justifie la pérennité du système sous la formule lapidaire "quand on veut on peut: la preuve!"
Avant c'était mieux, entend-on souvent. Non, mais c'était différent.
Tout d'abord, on redoublait son CP si à l'issue de celui-ci on ne savait pas lire. Cote mal taillée, qui aboutissait souvent à un échec, le gamin mal parti s'étant, ainsi que son maître et ses parents, mis dans la tête qu'il n'était pas fait pour l'école. A noter (je ne juge pas le système, je le décris) que quand le maître ordonnait le redoublement, il ne venait que fort rarement à l'esprit des parents de le contredire.
Parfois l'année perdue était bénéfique et on n'avait guère qu'un accident de parcours, parfois ce n'était que le début d'un processus d'échec scolaire en soi nettement moins traumatisant que de nos jours: parce que la voie de l'apprentissage dès 14 ans offrait des perspectives d'avenir vers des métiers somme toutes respectés, plus ou moins exercés dans la continuité familiale.
Le fils de mineur ne se sentait pas déshonoré de finir mineur comme son père, le fils de paysan souriait à la perspective de succéder au sien (maintenant il doit passer un BTS: BAC+2, pour devenir exploitant agricole et le fils de mineur attend ses 25 ans pour toucher le RSA, puisque les mines sont fermées dans sa région et qu'il n'y a pas d'alternative)
Et quand un fils de mineur, un petit paysan, étaient "remarqués" par le maître qui se décarcassait pour lui obtenir une bourse (en le "préparant" pour réussir un concours terriblement sélectif) il accédait au pinacle. Elitisme républicain certes, mais qui permettait néanmoins à une proportion plus que substantielle de fils du peuple de grimper les échelles de la promotion sociale (parfois il fallait deux générations)
Quasiment tous les dirigeants de la IIIe République, de droite comme de gauche, étaient d'extraction très modeste. A part Emmanuelli (dont la mère a payé les études en faisant des ménages), Dati (dont le parcours est connu) et quelques autres, très rares, "pouvez-vous m'affirmer, les yeux dans les yeux" qu'il en est ainsi au XXIe siècle, qu'on n'assiste pas à une reproduction incestueuse des soi-disant "élites"?
De nos jours sans une formation initiale de qualité, il est à peu près impossible d'obtenir un emploi, à l'exception (rare) de postes pénibles, précaires, sous-payés de façon obscène, ce qui va donner des idées aux moins bien "encadrés": pourquoi aller se crever à l'usine (quand il en reste une: la mondialisation bienheureuse en ferme des dizaines chaque mois en France) ou sur un chantier quand un trafic rapportera dix fois plus sans effort?
Quand sur le parc de stationnement du quartier, la BMW ou la jaguar du dealer connu de chacun (aucun diplôme) côtoie la logan du professeur (BAC+5) venu enseigner dans le collège du coin, où se situe le modèle, de quel côté penche la tentation? Je pourrais aussi parler des sbires du genre de Kerviel, dont le bonus annuel (quand ils ne pètent pas un câcle) dépassera le salaire cumulé au cours d'une carrière entière d'un directeur de recherches au CNRS. Quelle foi apporter aux études quand un abruti tout juste capable d etaper dans un ballon et de se payer des mineures gagnera en un mois plus qu'un Prix Nobel?
Remarquez... Même avec une formation soi-disant de qualité, on n'est guère mieux loti: il faut désormais un master pour enseigner, et ça vous rapporte 1300 euros net... La formation de qualité, c'est désormais celle qu'on peut payer plusieurs dizaines de milliers d'euros - ce qui comme chacun sait, est à la portée de tout le monde.
Revenons à nos moutons... On a cru bon de "stigmatiser les redoublements systématiques" et on n'a pas eu entièrement tort: ce qui est systématique est rarement efficace.
On aurait pu remplacer ce système par une détection pragmatique des enfants entrant dans le cycle d'apprentissage fondamental en y éprouvant des difficultés, et mettre le paquet pour qu'ils soient au niveau des autres le plus vite possible. C'était évident, donc ce ne fut pas fait.
On aurait pu donner un enseignement différencié profitant davantage à ceux qui ont de réelles carences, plutôt que d'abaisser de manière relativement uniforme le nombre d'élèves affecté à chaque enseignant. Faire passer des classes de 27 à 23 élèves, ça ne change pas grand chose quant à l'efficacité globale si ça coûte relativement cher aux finances publiques. En revanche, dégager des "groupes d'expression orale" à certains moments de la journée, pour ceux qui en ont besoin, groupes qui seraient réduits à 4 ou 5 élèves confiés à un enseignant spécialisé, là cela fonctionnait (je peux en témoigner: j'ai participé à de telles expériences)
Parce que des groupes de 27, 23, voire 18 élèves, comptez le temps de parole que vous pouvez accorder à chacun sur une heure de cours en retirant votre propre temps de "présentation", les aléas liés à la discipline, à l'administration, etc. et vous arriverez à nothing, nada, rien, que dalle.
Et c'est en s'exprimant dans une langue qu'on la maîtrise. Pas autrement. Et cela vaut pour l'apprentissage d'une langue étrangère comme pour la maîtrise de "sa" langue qu'on ne connaît souvent que fort mal, qu'on soit d'origine étrangère ou tout ce qu'il y a de plus gauloise (parce que la langue de TF1...)
De cette "stigmatisation des redoublements systématiques" on est tombé dans le travers opposé. Plus de redoublement, jamais! Avec en plus une démagogie insigne, qui laisse aux parents, dans les rares cas où c'est encore possible, le dernier mot.
Ecoutez-les tous: "oui d'accord, mais l'année prochaine, plus tard". Ma foi, j'assume: dans certains cas, refaire une année serait fort utile à certains élèves. Et dans d'autres, ne pas la refaire mais veiller en retour à ce que les lacunes constatées soient effectivement comblées très vite, ce qui n'est presque jamais le cas. La plupart des maîtres de Cours Préparatoire vous diront qu'ils pressentent peu ou prou, dès la Toussaint, les gamins qui n'accrocheront pas. Mais on attendra la fin du CE1 pour décréter qu'ils "n'ont pas atteint les objectifs du cycle 2"
Et c'est ainsi que des handicaps constatés en début de scolarité perdurent, s'aggravant d'une année sur l'autre, que des gamins se mettent dans la tête que l'école où on les contraint de se rendre chaque jour, "c'est pas pour eux" et que de ce fait ils s'y emm... et y emm.. le monde (on les comprend)
Une autre donnée, maintenant. Le hold up considérable dont l'enseignement de la langue française a été victime, depuis une trentaine d'années.
On rajoute chaque année une couche sur le mille feuilles des compétences que les élèves sont censées acquérir, sans jamais en ôter. Et pour cela, c'est encore et toujours sur l'enseignement du français que cela se répercute, par diminution drastique des heures à lui consacrées.
De 11h par semaine en CP, on est passé à moins de 8h; plus tard on tombe parfois à quatre heures... alors même que les handicaps sont de plus en plus évidents.
Or et je ne le répéterai jamais assez, si on ne maîtrise pas le français, on ne peut bénéficier d'un enseignement convenable dans quelque matière que ce soit et l'alibi: "on fait du français en toute circonstance et pas seulement pendant les heures de français" est un faux alibi.
Vous avez vu des professeurs de mathématiques ou de technologie corriger des fautes d'orthographe et de syntaxe, vous? (encore faudrait-il qu'ils en soient capables... puisqu'on peut obtenir une licence, même de "lettres modernes", en étant complètement dysorthographique)
J'ai fait le calcul: du CP à la Terminale, en quarante ans, les élèves ont perdu 800 heures d'enseignement du français - soit l'équivalent d'une année d'enseignement pleine, toutes matières confondues. Comment voulez-vous que ça n'ait pas d'incidence, surtout quand le poids de l'école dans la masse d'informations déversées quotidiennement dans la tête des enfants diminue sans cesse, et alors que si le français est une langue d'une précision et d'une beauté infinies, le corollaire c'est qu'il est une des plus difficiles à apprendre?
Revenons sur le pourcentage d'élèves de CM2 qui sont "en grave difficulté" dans les matières fondamentales: 27% en français, 33% en mathématiques... non pour nier ces statistiques, pour en diminuer la gravité, mais pour les relativiser.
Il y a 45 ans, ne passaient en CM2 que les élèves qui avaient une chance relative de réussir l'examen d'entrée en sixième, ce dernier étant très sélectif. Bref, reproduisez les mêmes conditions de sélection en 2011 et à la fin du CM2 (ou au début de la sixième) vous aurez fort peu d'élèves souffrant de telles carences au moment d'entrer en sixième.
Les autres (qui avaient souvent redoublé une, deux ou trois fois) étaient orientés vers la classe de fin d'études dans laquelle ils préparaient le Certificat d'études primaires, lequel était un examen extrêmement sélectif contrairement à ce que bien des gens pensent. Les taux de réussite étaient certes élevés... parmi ceux que le maître présentait à l'examen à une époque où fort peu de parents auraient contrevenu à sa décision. Je reviendrai dans une prochaine note sur les conditions de préparation à cet examen.
Je ne demande évidemment pas que l'on revienne à la situation antérieure, ne serait-ce que parce qu'il n'y a pas d'horizon pour la plupart des jeunes qui sortent du système scolaire sans qualification (les bâtards putrides qui, à l'instar du sénateur Dassault pronent la fin de la scolarité obligatoire à 14 ans et l'apprentissage non adapté dès cet âge mettront-ils leurs idées en pratique? Vous imaginez des gamins de cet âge monter des Rafale?)
Je demande la prise en compte du fait qu'on ne peut pas demander à "la masse" d'obtenir les mêmes résultats que "l'élite" d'hier sans s'en donner les moyens - et pas que sur le plan matériel. Et d'adapter au plus vite ET l'économie ET la politique sociale ET l'enseignement pratique permettant de prétendre à l'exercice de métiers manuels ou, du moins, peu qualifiés. Savez vous que pour obtenir le "CAP petite enfance" (qui permet en gros d'être employé(e) tout en bas de l'échelle dans une crèche, puisque toute initiative "pédagogique" est de la responsabilité de la "puéricultrice") il faut répondre à des questions portant sur le pouvoir de police et la qualité d'officier de police judiciciaire du maire?
En outre, si je veux bien admettre que "toujours plus en terme de moyens" ça ne mène pas forcément à davantage de réussite, J'affime que "beaucoup moins de moyens", ça mène avec certitude à plus d'échec.
Cela fait peu ou prou huit ans que l'on casse matériellement le service public de l'éducation nationale en taillant à la hache dans les effectifs, en supprimant tous les dispositifs d'assistance aux élèves en difficulté, en réduisant de manière drastique le nombre d'heures de cours à de strictes fins économiques.
Résultat? dans ce laps de temps nous avons reculé de dix places dans le classement "OCDE" des pays, pour ce qui concerne les résultats scolaires. C.Q.F.D.
Un dernier mot, pour ce qui concerne ces "évaluations" qui, selon JLHuss, ne sont pas "des examens".
Tu devrais aller voir, cher ami, comment ça se passe. Les technocrates du ministère de l'éducation nationale ne le cèdent en rien quant au ridicule à ceux de la Santé, qui ont inventé l'année dernière les "vaccinodromes" soviétisant - lesquels ont suscité soit l'hilarité soit l'ire de la population.
Le maître condamné à répéter une fois et pas deux fois (ou deux fois mais pas une, ni trois), les feuilles de "report de réponses" d'une laideur incoercible, des questions qui, forcément, sont placées en dehors du contexte de tel ou tel gamin puisque ces tests sont "nationaux", etc.
Que veux-tu, quand on parle de la neige dans un DOM, on obtient des résultats peu significatifs, mais considérés comme des échecs; et je pourrais te citer des dizaines d'exemples de ce genre.
Quant à la "solennité" de ce genre d'épreuves, est-elle adaptée à des gamins de dix ou onze ans? Je sais! "Avant, on ne se posait pas ce genre de question au moment de l'examen d'entrée en sixième".
Mais "avant", les adultes aussi avaient une vie plus rude (on n'aurait pas mobilisé des cellules de soutien psychologique à leur profit pour cause de chutes de neige somme toutes normales pour la saison) La société change pour tous, elle doit demeurer immuable pour les enfants?
Et enfin, si test il doit y avoir, doit il vraiment être fait à l'issue de cinq ans d'enseignement, quand le mal est fait avant de balancer (parce qu'on l'y enverra quand même!) un gosse en sixième en face de professeurs qui n'auront ni le temps (quatre heures hebdomadaire de français en sixième) ni la formation pour lui apprendre à lire... et que la dinguerie des pédagogistes amène à effectuer un travail délirant dans cette classe dont les programmes feraient hurler de rire n'importe quel être de bon sens, s'ils ne le faisaient pas plutôt grincer des dents? (à un gosse de sixième qui souvent sait très mal lire, on demandera doctement d'expliquer en quoi le texte ci dessous est construit selon le schéma actif)
Tests "objectifs" en CM2? On ne pourrait pas constater les problèmes dès le début, pour tenter de touver une solution au plus vite au lieu d'imposer quatre ans d'échec - donc de souffrance - à un gosse?
J'aurais un enfant inscrit en CM2 à l'heure actuelle?
Même s'il était brillant, même si j'étais sûr de sa réussite le jour de ces évaluations grotesques, inutiles, contreproductives, il n'irait pas à l'école.
Je consacrerais plutôt ces deux ou trois jours à lui faire découvrir quelques délicieuses pages de notre patrimoine littéraire, adaptées à son âge et à son niveau.
Et j'emmerderais les pontes du rectorat tout comme ceux comme du ministère.
Benjamin.
Additif
Merci de ne pas voire dans cet accès de mauvais humeur une critique exclusive du sarkozysme qui certes a plus que sa part dans le désastre actuel: plus l'éducation nationale sera massacrée, et plus le retour de la ségrégation par classes sociales qui est voulu, orchestré, organisé, sera facilité (le seul alibi étant les quelques dizaines de places octroyées ici ou là à des internats d'excellence) Parce que les dispositions qui ont détruit l'école publique, on en souffre depuis des décennies et que tous les gouvernements qui se sont succédé y ont plus que largement pris leur part, sans aucune exception. Ce qui permet justement à la mafia au pouvoir actuellement de faire à peu près ce qu'elle veut.
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