ou la supposée hydre inflationniste
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Le président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, a lancé dimanche une nouvelle mise en garde contre l'inflation, laissant entendre dans un entretien avec le Wall Street Journal qu'il était préparé à relever son taux d'intérêt directeur. "Toutes les banques centrales dans des périodes comme celle-ci, où on a des menaces inflationnistes qui viennent des matières premières, doivent (…) faire très attention à ce qu'il n'y ait pas d'effets de second tour", a prévenu M. Trichet.
Ces propos rappellent ceux qu'il tenait en juin 2008, quand l'emballement des cours des matières premières et en particulier du pétrole menaçait selon lui de se répercuter sur les salaires ("effets de second tour") et d'entraîner une spirale inflationnistes. Le 3 juillet de cette année-là, la BCE avait relevé son taux directeur d'un quart de point à 4,25 %, avant de le baisser d'un demi-point en octobre et de le faire chuter jusqu'à 1 % en mai 2009, niveau auquel il est encore aujourd'hui. [leMonde.fr]
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Menaces proprement hallucinantes. Pour des raisons structurelles mais également conjoncturelles: la crise financière provoquée par les errements demeurés impunis de nos banquiers est passée par là, et la plupart des pays de la zone Euro régentée par la BCE sont déjà soumis à un service de la dette extrêmement lourd, parfois insupportable, même.
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Seul le retour d'une croissance convenable pourrait diminuer ce poids, mais si Trichet décide, avec les gnomes de Francfort, de relever le taux d'intérêt directeur, cela alourdira encore le poids de la dette (les intérêts payés par ces pays augmenteront mécaniquement), ce qui compromettra d'autant une hypothétique relance puisqu'il faudra bien soit augmenter les recettes en majorant impôts et taxes, soit diminuer les dépenses donc ralentir l'économie. Les sacro saintes agences de notation en déduiront que nous serons encore moins en capacité de rembourser, donc que notre risque devra être réévalué... ce qui nous entraînera ainsi dans un maelström sans fond.
Il faut dire que le Sieur Trichet ne fait pas ce qu'il veut, mais ce qu'il est (fort bien) payé pour faire. La mission essentielle de la BCE qu'il est chargé de diriger, c'est de veiller à la stabilité des prix. Point barre.
Il n'y a rien dans ce merveilleux traité de Maastricht qui organisa le fonctionnement de la zone euro qui oblige la BCE a intervenir sur le cours de la monnaie ou à interagir sur le fonctionnement de l'économie.
Les USA font monter et descendre le dollar au gré de leurs intérêts du moment: en ce moment la planche à billets tourne à un rythme effréné pour faire baisser la valeur du billet vert - donc de la dette qu'ils ont accumulée depuis le début de l'ère Reagan et qu'il est évident qu'ils ne pourront jamais la rembourser.Ils sont d'ailleurs suivis en cela par la Chine, qui ne tient absolument pas à perdre sa compétitivité.
La Chine fixe autoritairement le cours du Yuan à un niveau suffisamment bas pour ajouter le dumping financier aux dumpings social et environnemental dont elle use et abuse pour dominer le commerce extérieur mondial.
Nous, dans la zone euro, nous subissons béatement, l'oeil fixé uniquement sur l'horizon de la hausse des prix qui ne doit en aucun cas dépasser 2% par an.
Si d'aventure nous dépassons ce seuil, papa Trichet montera son taux directeur, ce qui raréfiera l'argent disponible puisqu'il sera plus cher et de ce fait limitera la hausse des revenus (ce qu'on appelle l'effet de second tour, une indexation des salaires sur les prix, parfaite obscénité aux yeux des financiers: c'est en empêchant par la force les salariés de consommer que l'on joue sur les prix en contraignant les fournisseurs sinon à les baisser du moins à ne pas trop les augmenter.
Croyance imbécile dans la main invisible des forces du marché et surtout indifférence totale à la souffrance humaine: parce que contracter les ressources des gens qui ont pour vivre à quatre pendant un mois ce que papa Trichet doit donner comme argent de poche à son fiston pour une semaine, c'est insupportable. Surtout quand dans le même temps on refuse un minimum d'équité, en demandant aux plus aisés de faire un petit effort.
De ce fait, comme la BCE ne joue pas sur le cours de l'euro, nous nous retrouvons le plus souvent avec une monnaie surévaluée qui pénalise gravement nos exportations (imaginez la PME qui va s'arracher les tripes pour gagner 10% de productivité et diminuer d'autant ses prix dans ce but... et qui voit ses efforts plus qu'anéantis par une réévaluation de l'euro de 15% dans le même laps de temps!)
Il y eut d'autres (rares) moment où une sous-évaluation de la monnaie a renchéri considérablement le prix d'achat de nos matières premières, jouant également sur notre compétitivité. Mais à aucun moment il n'y eut d'action politique coordonnée pour améliorer cette dernière. Tout simplement parce que les règles de la zone euro (indépendance absolue de la BCE à laquelle il n'est fixé qu'un objectif) l'interdisent!
L'objection la plus souvent entendue, c'est que malgré l'euro fort, malgré ce système contraignant, l'Allemagne sait fort bien importer, vu sa balance commerciale très nettement positive et que le problème n'est donc pas monétaire.
Argument à courte vue parce que si sa balance commerciale est effectivement des plus satisfaisantes, sa balance des paiements est moins rutilante: sur le plan des services, elle est certes performante mais de manière moins marquée. Deuxièmement, les Teutons mangent leur pain blanc, gardant la croute pour les jours à venir.
Leur réseau de PME extrêmement sophistiqué, certes, très largement orienté vers la fabrication de machines outils tourne à plein, pour fournir la Chine et d'autres puissances émergentes (les gigantesques locomotives pour ces énormes trains de minerais que le Brésil met sur pied, ce sont les Allemands qui les fournissent et bien qu'ils ont augmenté leurs capacités de production de 100% en cinq ans, ils ont encore cinq ans au moins de commandes devant eux)
Mais c'est faire bon marché des capacités de ces pays, que de croire qu'ils auront toujours besoin des gringos pour s'équiper, dès qu'un peu de technicité est requise. Les machines-outils qui sortent actuellement d'Allemagne, je ne donne pas dix ans avant que le Brésil, la Chine, l'Inde et autres pays "émergents" ne les produisent eux mêmes à meilleur compte, et les exportent dans le reste du monde. Et là les Teutons qui se gaussent de nos 600.000 emplois perdus en deux ans dans le textile pleureront à leur tour.
Qui nous dit qu'Embraer qui, en dix ans, a produit le meilleur court-courrier du monde, ne sera pas bientôt un concurrent majeur face à Airbus et Boeing? Que le Brésil qui se lance actuellement dans un gigantesque plan d'assainissement de ses métropoles (qui en ont bien besoin) n'exportera pas dans une décennie un savoir faire récemment acquis dans ce domaine, au détriment de nos entreprises?
Qui nous dit que la Chine ne vendra pas ses réacteurs nucléaires nettement moins chers et tout aussi performants que ceux de Siemens ou Areva, dès lors que ces pays font preuve, eux, de patriotisme économique et que leurs entreprises agissent selon une stratégie concertée, soutenues par un appareil d'état (pratiques contraires à celles de l'OMC mais moins naïfs que l'UE, ces entités les contournent sans trop de remords)?
Il suffit de se souvenir des ricanements des ingénieurs de chez Zeiss, Leica, Porst, etc. quand ils ont appris que ces faces de riz de Japonais allaient faire des appareils photos, de la commisération amusée avec laquelle nous avons accueilli les premières voitures japonaises (lesquelles de nos jours sont d'ailleurs fabriquées en grande partie... en Chine), etc.
Trichet: "I have a dream!" [ligne Maginot, 1940]
Bref l'euro qui nous protège de la hausse des prix, c'est la ligne Maginot dont l'efficacité fut parfaite, comme chacun sait. On passe de 2 à 2,2% de hausse des prix, et Trichet a peur que nous revivions cela:
Entre-deux-guerres: hyper-inflation en Allemagne (cauchemar de Trichet)
Pendant ce temps, les concurrents traversent la Meuse, après la forêt des Ardennes... Ils seront bientôt à Abbeville.
A suivre.
Benjamin.
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