1914-1918 - 1939-1945
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Point de départ de la réflexion: le livre de Dominique Lormier aux éditions du Cherche Midi
(environ 19 euros)
L'idée était séduisante: tordre le cou à cette légende persistante sur les Français qui ne se sont pas battus, sur "l'armée Ladoumègue" pour reprendre la très délicate expression de ce porc de Céline (une armée "ne se bat pas" mais perd 100.000 hommes en six semaines?)
Mais à vouloir trop vouloir embrasser, Lormier étreint mal.
Son livre est un mélange de révélations exactes et d'approximations qui décrédibilisent l'ensemble.
D'abord il ne fait la distinction entre la faillite (incontestable) des élites, et l'héroïsme des combattants de base.
Cette vieille baderne de Joffre qui s'empiffrait chaque jour, servi par quatre ordonnances en gants blancs, qui avait besoin quelles que soient les circonstances de ses douze heures de sommeil quotidiennes, qui préférait les estafettes à cheval au téléphone, n'a gagné la bataille de la Marne qui a sauvé la France que grâce à l'héroïsme sans faille de centaines de milliers d'hommes qui ont accompli la "retraite" (le pire souvenir de la guerre pour ceux qui l'ont faite de bout en bout et ils sont rares, tant les chances de survie des combattants étaient faibles sur quatre ans) avant de se rétablir miraculeusement et de trouver les forces pour repousser un ennemi malgré des marches quotidiennes de 60kmavec un sac de 40kg sans le moindre temps de repos. Le même Joffre qui dirigeait l'Etat-major depuis longtemps, a envoyé au massacre des hommes habillés en rouge et bleu, sans casques, contre des soldats vert de gris invisibles, bien protégés et munis d'innombrables mitrailleuses en plus d'une artillerie lourde deux fois plus puissante que son pendant français. Et qui a démarré avec un plan inepte, qui a failli anéantir les forces françaises en quatre semaines.
Cela dit, Lormier met en évidence le fait que presque tout le poids de la guerre a porté sur un pays de 40 millions d'habitants essentiellement agricole dont en plus les principales zones industrielles étaient occupées, et que les victoires décisives ont toutes été du fait des Français qui, en plus de tenir la plus grande partie du front, ont dû à maintes reprises secourir en urgence les Britanniques... cela en fournissant la majorité de l'équipement, des fournitures et des munitions.
Il rétablit la vérité sur les combattants des USA certes courageux, mais dont l'arrivée tardive et le sous-équipement (c'est la France qui les a armés à 80%!) furent tels qu'ils ne jouèrent qu'un rôle marginal pendant cette guerre. Autre élément qui démontre la faillite des élites: elles ont été incapables de faire prendre en compte de manière positive les intérêts français lors du Traité de Versailles, à la fois inique pour la jeune république allemande et scandaleux pour la France ramenée au rang de puissance marginale.
Si la partie de l'ouvrage qui traite de la Grande Guerre est globalement positive, il n'en va pas de même de la seconde.
Lormier commence bien en signalant que contrairement à l'idée reçue, les Français se sont battus avec acharnement, souvent jusqu'au dernier, infligeant des pertes sévères à un ennemi dont la doctrine stratégique et opérationnelle était meilleure (facile: dans le haut commandement français il n'y en avait tout simplement aucune qui soit adaptée à la diplomatie: une stratégie d'alliances, mais pas de corps capable de se porter vigoureusement au secours des agressés. ) L'aviation française pourtant surclassée en nombre comme en tehnique a ainsi abattu 1.000 appareils nazis qui ont fait cruellement défaut à ces derniers lors de la bataille d'Angleterre, gagnée ensuite d'un cheveu par les Britanniques. Qu'en aurait-il été sans ces pertes initiales?
L'auteur n'en est pas à son coup d'essai avec un ouvrage magistral sur la bataille de Stonne qu'on a jetée aux oubliettes, et qui fut un des engagements les plus terribles de toute la seconde guerre mondiale - de l'aveu même des Allemands qui le subirent (et le rangèrent au niveau de Koursk voire de Stalingrad, pour qualifier l'acharnement des Français livrés à eux mêmes par un haut-commandement ignare et dépassé, qui ont "tenu" malgré tout jusqu'à destruction complète).
Raymond Cartier, historien reconnu de la période n'évoque même pas ce combat mémorable, absorbé qu'il était par la glorification des Anglo-saxons justifiée par son anti-gaullisme, suivi en cela par Amouroux, pétainiste à peine repenti qui avait aussi l'envie de façonner l'image d'un peuple décadent.
Lormier rappelle que les Britanniques n'ont pu rembarquer à Dunkerque que parce que des Français ont combattu avec acharnement pour "tenir les lignes" après avoir retardé les nazis autour de Lille (les atrocités commises par les SS et la Wehrmacht dans la région sont la résultante de ce qu'ils ont subis de la part de soldats courageux, malgré la faillite morale et professionnelle de leurs chefs)
Mais ensuite!! Traiter sur le même plan des escarmouches qui opposaient quelques dizaines de FFL sur le front éthiopien (1941) et Bir-Hakeim qui a scellé la défaite de Rommel, voire des mouvements opérationnels de grande ampleur qui ont mené entre autres à la chute de Rome...
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