J'ai formulé sur A(c)Tu une opinion pas dans l'air du temps avec la sacralisation de la parole des victimes, qui m'a valu une objection courtoise et motivée d' Isabelle qui semble connaître le sujet.
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Au préalable: aucune allusion ne sera faite dans cette note et dans les commentaires (dans ce cas ils passeront à la trappe) relative de près ou de loin à l'affaire Strauss-Kahn.
Il s'agit d'évoquer une problématique qui la dépasse, et de très loin.
Isabelle écrit.
Benjamin,
La prescription en matière criminelle, donc de viol, est de dix ans en France.
Si pour vous, les viols et autres tentatives “révélées” des années après sont nulles et non avenues, alors vous aurez le même diagnostic sur des agressions subies par des enfants, des adolescents qui à l’âge adulte trouvent le courage de parler avant que la prescription ne tombe?
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Votre argument est valable évidemment sur l’hyper-victimisation, ça existe en effet les fausses accusations et les abus. Mais ne sous-estimez pas le traumatisme d’une agression sexuelle de ce type.
Un point juridique. En France, la prescription en matière pénale pour des affaires de viols sur mineurs est de dix ans après la majorité de la victime supposée. Qui de ce fait peut dénoncer des faits qui se sont ou se seraient produits plus de vingt ans auparavant.
Je suis très sensible à la douleur des enfants (des victimes en général) à laquelle j'ai aussi été confronté, Seulement, on fait un raccourci en déduisant qu'il n'y a qu'une réponse à cette douleur: le pénal; on pense maintenant davantage à châtier un coupable éventuel qu'à soutenir une détresse, quelles que soient ses causes et la manière dont elle s'exprime.
J'ai pensé comme ma contradictrice avant d'évoluer... me rangeant - entre autres - aux arguments de Jean Pierre Rosenczveig pourtant connu comme défenseur inconditionnel des mineurs, qui en général m'agace car bobo angélique, il pratique la culture de l'excuse. Mais cela n'empêche pas d'approuver ses arguments quand ils semblent de bon sens.
Parce que dans ces affaires, il est impossible d'approcher de la vérité longtemps après (pas comme pour des assassinats où parfois on retrouve les corps, cf. affaire Emile Louis). C'est parole contre parole sauf quand le remords pousse le mis en cause à avouer - très rarement.
D'où des situations toujours affreuses.
Ou vous êtes accusé à tort pour des raisons qui ne sont pas forcément crapuleuses, de sentiments fétides voire de mythomanie (c'est infiniment plus complexe que cela): vous voilà cloué au pilori selon l'adage "il n'y a pas de fumée sans feu".
Ou victime, vous parlez tardivement: on vous a aidé à faire le point, vous avez la force nécessaire. Mais faute d'éléments tangibles, d'indices matériels, de témoignages impossibles à relever si longtemps après les faits etc., si la justice fonctionne selon l'adage que personne ne remet en cause: "le doute doit profiter à l'accusé"...
la victime se voit dénier officiellement son statut, avec la solennité de la justice qui confère à ce déni un poids colossal.
Pire: une fois le mis en cause innocenté en Cour d'Assises, elle n'a légalement plus le droit d'évoquer les faits!
C'est ce qui s'est produit dans l'affaire de Villiers. Très longtemps après, le frère cadet accuse son ainé de viols répétés. Une famille déchirée, une carrière politique cramée et la justice, après des années d'étalage sordide, conclut que faute d'indices on est dans l'impossibilité de trancher. Dans tous les cas c'est affreux.
- Ou le plaignant dit vrai et sa souffrance se voit aggravée par une frustration terrifiante.
- Ou il n'a pas dit la vérité et c'est l'accusé qui a été cloué au pilori des années durant, sa famille traînée dans la boue. Tout aussi affreux.
Parfois au nom de l'intime conviction, on arrive à des "cotes mal taillées", fruit de "marchandages" entre ceux qui penchent pour l'innocence et les autres. Je pense à cet homme reconnu coupable de viols répétés commis par personne ayant autorité (un "humanitaire" en Afrique, au service des enfants des rues!), qui a fait cinq ans de prison. Décision forcément inique: coupable, la peine est ridicule (ça peut dépasser les vingt ans); innocent, il a passé cinq ans en prison. J'avais de bonnes raisons de suivre cette affaire... d'où ma décision irrévocable de refuser de participer à quelque jury que ce soit, quoiqu'il m'en coûte.
Prenons le cas de cet ancien maire accusé de viol par son petit-fils, très longtemps après les faits et qui a toujours nié. Condamné au nom de "l'intime conviction". Le petit-fils revient sur ses accusations, dit ne plus supporter que son grand-père innocent fasse un jour de prison supplémentaire". Et dans le genre "conversation de bistrot" chacun y va de son opinion: le gosse aurait été manipulé au moment de l'accusation (le père et le grand père se haïssaient); il serait a contrario maintenant victime de pressions. Comment s'y retrouver?
Les enfants qui portent ces accusations ne sont pas "forcément" - quand elles sont fausses - des menteurs, des mythomanes ou des manipulés. C'est infiniment plus complexe. Ils peuvent faire un transfert sous le choc du traumatisme. On a été violé et on s'est convaincu que c'est XX qui l'a fait, parce que le subconscient interdit d'accuser papa, maman, papy, parrain, sacralisés. Ou au contraire, on les accuse à tort parce que le subconscient crie sa douleur: "pourquoi ne m'as tu pas protégé?"
On a nié pendant des années la parole des victimes; c'était monstrueux. Là, par effet boomerang, on la sacralise.
On confond "propos crédibles" et "propos véridiques".
Tel "expert" explique doctement qu'un enfant de huit ans ne peut pas décrire avec force détails une sodomie... C'est vrai pour un enfant élevé normalement. Mais s'il a visionné des vidéos pornographiques, il peut.
Et ils sont des millions dans ce cas, suite à la stupidité des ainés ou à la bêtise et l'inculture sociale crasse des parents ou d'autres, peut être coupables de "corruption de mineurs" - c'est très grave mais ce n'est pas un crime comme le viol.
Un cas concret.
Vous êtes accusé à tort ou à raison par un homme ou une femme de 25 ans de l'avoir agressé(e) sexuellement à de multiples reprises quand il (elle) avait 12 ans.
- Comment vous défendre, vous dégager de l'horrible soupçon?
- Comment l'accusateur et la société qui va le soutenir dans une enquête à charge et à décharge peuvent-ils étayer l'accusation?
- Comment la justice va démêler le vrai du faux aussi sereinement que possible ?
Ce qui me pousse à conclure que si quelqu'un formule de telles accusations tardives, en dehors de l'intention malfaisante - ça arrive et là il faut taper très fort pour sanctionner la dénonciation calomnieuse -, il y a d'autres moyens de venir en aide à la personne que la justice forcément impuissante (sauf aveux sous le poids du remords, témoignages incontestables, etc.).
On est devant une détresse et il faut traiter cette détresse avant de chercher à tout prix un coupable. Au risque de ne pas désigner le bon, voire d'en créer un.
benjamin
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