____________________________________
Un Rouge et Noir vainqueur à Grenoble - Cadel ressucite Stendhal
Aux Champs, le Cav' se met au Vert
Il ne manque que la flamboyance, à ce gars fichtrement sympathique, infiniment cultivé de surcroît, marié à une pianiste virtuose qui se produit entre autres au festival de Salzbourg, dont la fondation en faveur des enfants aborigènes est très active en plus d'être discrète et pas à son service, comme une autre fondation très médiatique fondée à grands sons de trompe par un autre cador récemment retraité. Mais les cuirassés de Reishoffen étaient flamboyants... ils n'ont pas empêché la France de se faire piler par les Prussiens
On va commencer par le succès de Tony Martin,
Grand rouleur s'il en est qui en plus a fait pendant ce Tour plus que le job dans son équipe, en faisant neuf contre la montre dans le rouge à chaque fin d'étape en ligne pour tirer le Cav' sur dix kilomètres et le mettre quasiment sur orbite sous la flamme rouge, là où deux autres gonzes dont Reenshaw entre -500m et -200m parachevaient le travail. Parce qu'il a quand même battu Cadel Evans qui n'est pas manchot en la matière, qui était transcendé par l'enjeu, de même qu'un Contador redevenu très fort et qui lui aussi n'est pas le pire (euphémisme) en ce domaine : on se souvient qu'en 2009, sur un circuit semblable, difficile et en boucle, privé d'oreillette en plus, il avait vaincu tout le monde. Il a aussi battu le favori logique, Spartacus (Cancellara pour les nuls) logiquement grandissime favori surtout qu'il n'a pas spécialement fourni d'effort colossal cette année dans le Tour (serait-il désabusé ?) et que les trois dernières étapes, il les a faites en cyclo pour s'économiser. D'accord, fait de course existant, à l'heure de son départ la chaussée était légèrement plus humide qu'au moment du départ des cadors mais elle n'était pas détrempée : lui eut-il manqué 20 secondes que l'on aurait attribué l'échec à ce facteur, mais là l'écart est trop significatif.
Cadel Evans, un guerrier ?
Je sais que ça va en faire sursauter quelques-uns mais je persiste et je signe. L'année dernière, alors qu'il n'avait plus rien à espérer, il a roulé des heures durant avec un bras cassé, incapable de tirer sur le guidon, souffrant le martyre.
Cette année, dans la fameuse étape du Galibier et sans nier aucunement la valeur de l'attaque d'Andy Schleck qui reste un grand moment non pas de l'édition 2011 mais du Tour en général, il a engagé un mano a mano fantastique avec lui car si une dizaine de gonzes étaient derrière, c'était le seul à rouler, absolument le seul. Effort physique inouï qui lui a quand même permis de reprendre, d'homme à homme, 1mn30 à Andy (ce qui les sépare aujourd'hui) dans des conditions de stress épouvantables en plus, sachant que sur son porte-bagage il traînait au moins cinq gars potentiellement capables de profiter de son effort titanesque pour le "sauter" dans les derniers kilomètres et le crucifier. Et parmi ces cinq là, il y avait le... frangin Schleck, l'ainé : cela donne une idée du stress qui devait l'habiter, en plus de la souffrance physique due à l'effort. C'est là qu'on peut regretter l'absence de Vino, parce que je le vois mal, connaissant son tempérament, se laisser aspirer comme cela : eut-il été en course à ce moment que je suis persuadé qu'il aurait valeureusement collaboré. Mais les faits de course sont les faits de course, Vino, Wiggins, Van den Broeke ont été sortis par la malchance, comme Cadel le fut Cadel à trois reprises dans un grand Tour.
Persistera et signera toujours, même un pistolet sur la tempe : Cadel est un guerrier même s'il n'est pas du genre de Ney ou de Murat chargeant à la tête de leurs troupes de cavalerie. Lui, c'est plutôt le Poilu qui tient sous l'orage d'acier avant de se ressaisir au moment de l'assaut quand en apparence tout est perdu (vous aurez compris que j'emploie la métaphore parce que je ne ferai jamais l'insulte aux Poilus de comparer leurs souffrances à celles des sportifs, aussi valeureux soient-ils)
Cadel Evans est desservi par son physique qui n'est spécialement "play-boy" ni "gendre idéal" tout comme par son style de course. Ce n'est ni une formule 1 ni un missile, mais plutôt un diesel qui a besoin de préchauffage et, pour donner toute sa puissance, de passer une douzaine de rapports pour se lancer : quand la fusée Contador décolle, il perd une centaine de mètres sans se mettre dans le rouge, augmente son train de quelques km/h et revient au contact progressivement, concentré dans sa bulle et sans se préoccuper de l'accessoire. Sans s'affoler et quiconque a fait du vélo sait à quel point le mental et les jambes flageolent, quand on voit la roue de devant s'éloigner...
En plus sa morphologie fait qu'il est à l'aise non pas en moulinant, mais en tirant des braquets conséquents, ce qui fait qu'il semble toujours à l'agonie lors des ascensions. En clair, pour le non initié, c'est le gars pas beau et pas spectaculaire. C'est Nadal qui renvoie inlassablement et pas Federer avec ses retours fulgurants et ses coups de génie. C'est "le gros" des cinq de devant qui, dans une équipe de rugby, ne marque jamais tout en assurant le succès en sapant les gars d'en face quand les lignes arrières prennent la gloire en plaquent dans l'en-but, en conclusion du travail d'équipe.
Ce fut aussi (comme el Pistolero) un gars tragiquement seul dans bien des occasions, quand ses adversaires étaient fort bien entourés. Dans ces conditions, on dira qu'il a eu la chance de ne pas tomber... On peut aussi dire qu'il eut l'habileté suprême de ne pas le faire ! Et je n'oublie pas non plus, alors qu'il n'y avait guère d'enjeu pour la victoire finale, cette magistrale victoire au Mûr de Bretagne devant des spécialistes de ce genre de parcours comme Gilbert, devant un Contador révolté et bien d'autres.
Cadel est aussi un gros travailleur, un tâcheron.
Ce CLM était celui du Dauphiné libéré qu'il a couru. Il l'avait minutieusement reconnu AVANT cette course qu'il a disputée. Il a fait ce CLM au cours du Dauphiné. Il l'a reconnu le matin même de l'épreuve, sous forme de piqûre de rappel. Dans la voiture suiveuse de son directeur sportif, il y avait un équipier qui avait déjà fait le parcours, pour signaler les vents contraires, les concentrations atypiques de spectateurs, etc. (Idem pour Voeckler qui avait fait embarquer "Chartix" : Anthony Charteau). Schleck a reconnu le parcours... le matin même. Et Cancellara présent dans la voiture aurait pu lui donner des conseils très pointus sur les trajectoires, les reprises, lui qui est spécialiste en la matière et qui avait fait le parcours.
Plus qu'affaire de spécialistes de l'exercice, les CLM de fin de Tour sont en général le reflet de la forme des gonzes avec le paramètre de la transcendance due au port du maillot.
Souvenez-vous de celui du Tour 2010 : on a glosé sur le duel titanesque entre Schleck et Contador, en oubliant à quel point les deux étaient cramés, carbonisés, incinérés (il suffit de voir leurs places respectives dans le classement, et le temps énorme que Menchov leur a repris ; je me souviens aussi du "bec de selle" de Contador, toutes les trente secondes, preuve s'il en est qu'il était à l'agonie). Si Anquetil avait eu sa forme habituelle, il n'aurait pas repris trente secondes à Poulidor dans le dernier CLM de 1964, mais 2mn au vu de leurs aptitudes dans l'exercice à ce moment (Poupou a beaucoup travaillé pour s'améliorer après, au point de battre Anquetil dans le CLM de Vals, en 1966)
Là, Schleck a fait une performance qui correspond à ses capacités habituelles, sans plus, sans moins quand Evans s'est surpassé (je demeure persuadé qu'il aurait pu facilement gagner cette étape, vu le faible écart qui le séparait de Martin : mais il avait énormément d'avance sur Schleck, le tour était en jeu, pourquoi risquer de tout perdre dans les cinq derniers km très sinueux ? Fort logiquement il a dû lever un peu le pied, ne pas risquer de se pulvériser une clavicule dans une barrière et être incapable de repartir. Notez le bec de selle sur la photo... Révélateur d'une mauvaise position ou de l'épuisement.
On sait désormais "pourquoi il n'a pas attaqué dans l'Alpe d'Huez pour accroître son avance sur Evans" : parce qu'il n'en avait pas les moyens, tout simplement. Tout comme il a échoué l'an dernier sur les pentes du Tourmalet devant Contador. C'est un constat et pas un reproche, évidemment. L'erreur des Schleck (mais c'est facile de le dire après) c'est d'avoir temporisé dans les Pyrénées de façon incompréhensible pendant deux étapes : De façon incompréhensible parce qu'ils ont mis leurs équipiers à la planche pour durcir la course, qu'ils les ont cramés pour rien. Je doute que ça crée une bonne ambiance dans un groupe, ça, quand on fait sortir les tripes de ses gars pour ne rien tenter derrière. Essayer et se planter, finalement, ça doit plus souder un collectif.
Rolland fait un temps correspondant peu ou prou à ce qu'il avait fait au Dauphiné et de ce fait sauf son maillot blanc.
Certains émettent déjà la peur qu'il prenne "la grosse tête". Pour ma part, j'ai l'inquiétude inverse. Ce gars a manifestement un potentiel énorme (sauf potion magique indétectable mais j'ai des doutes parce que pour ça il faut des moyens énormes que le budget modeste de son équipe est loin de posséder), et il faut le mettre dans la position psychologique d'un cador. A son âge, pas mal de gonzes (dont Contador) avaient déjà gagné le Tour.
C'est un illustre inconnu d'à peine 19a qui a gagné le Grand prix des Nations (épreuve majeure du calendrier, un CLM qui se disputait alors sur 140km !). Il s'appelait Anquetil et il avait des gens autour de lui qui n'ont pas dit qu'il fallait "le ménager"... mais qu'on en ferait un cador. Idem, c'est un inconnu de chez inconnu qui a pulvérisé le peloton pour gagner Milan San Remo à 20 ans, en 1965 : Eddy Merckx. De nos jours, un Français de cet âge et de ce potentiel, on ne l'alignerait pas dans cette épreuve pour le ménager ou on lui enjoindrait de suivre, de faire le porteur d'eau pour apprendre le métier. (Idem, Boonen et Cavendish explosaient et avaient acquis très jeunes un statut de boss, tout comme en ce moment Philippe Gilbert).
On continue de "protéger" Romain Sicard qu'on nous a présenté il y a trois ans déjà comme l'étoile montante française et on ne saura jamais si di Gregorio est relégué définitivement au statut d'équipier modeste parce que c'était une fausse valeur, ou parce qu'on l'a "ménagé" des années durant (j'ai tendance à penser que c'est la première hypothèse : comment peut-on espérer briller en montagne en descendant aussi mal ? Quand d'aventure il prend une minute dans un col, c'est pour en perdre trois dans la descente qui suit, et sans devenir un seigneur de la discipline comme Hushovd, limiter les dégâts serait un minimum. Cela vaut dans une moindre mesure pour Andy Schleck).
Pierrot, il faut te comporter en leader !
Ca passera ou ça cassera, mais tu ne seras pas passé à côté de ta chance d'autant plus que de nos jours, les "sortis du vélo" ont des facultés de reconversion qui n'existaient pas auparavant : pour un Stablinsky, un échec aurait signifié redescendre dans la mine.
Voeckler n'a eu cette position de leader que cette année, à 32 ans alors que si on lui avait donné sa vraie chance dès 2004, sans jouer dans la cour des très grands il aurait fait nettement mieux. En 2004 (à 25 ans) il a porté le maillot dix jours comme maintenant tout en ramenant les bidons, et a gagné le maillot blanc finissant 20e, cela pour son premier Tour (initialement c'était Karpets, mais il a été déclassé pour dopage : donc sans contradiction possible, c'est Voeckler). Retour dans le groupe juste après, sans position privilégiée... Il a gagné le statut de boss parce que sans son engagement de rester dans le groupe, l'équipe était dissoute et 200 personnes se retrouvaient au chômage.
Les exploits que je retiens de ce Tour, dans des genres différents. (dans le désordre)
La victoire de Philippe Gilbert au mont des Alouettes alors qu'il avait LA pancarte et que quand on est dans cette situation c'est presque impossible de gagner. Voir Cancellara, grandissime favori de Paris-Roubaix...
Celle d'Evans au Mûr de Bretagne.
Le sprint magistral du Cav' à Montpellier. Pourquoi celui-ci et pas les autres ? Parce qu'il a été dépouillé de son équipe, et qu'il a dû, contrairement à son habitude, se faufiler et faire son effort à peu près seul, sur les trois derniers kilomètres.
Le courage de Jimmy Hoogerland qui a fait son Tour malgré un terrible traumatisme, qui a couru avec 33 points de suture en tentant d'attaquer tous les jours.
La résistance de Thomas Voeckler.
La "chevauchée fantastique" d'Andy Schleck, ex aequo avec la poursuite au courage de Cadel Evans.
La victoire de Thor Hushovd, acquise dans la descente de l'Aubisque.
La victoire de Rolland à l'Alpe, avec son beau sursaut d'honnêteté: " si Contador n'avait joué que l'étape, s'il était resté dans les roues jusqu'au début de la montée, il partait tout seul et nous mettait trois minutes à tous"
Le gaspillage énorme.
Les six chevauchées de Jérémy Roy, dont cinq totalement vouées à l'échec. Se serait-il concentré sur deux ou trois objectifs, se serait-il relevé sagement quand il était évident que ça n'allait pas au bout, que sans nul doute, avec son potentiel global, il avait ses chances quand il a été battu par Hushovd.
Il a été élu combattif du Tour. Pour moi, c'est le couillon du Tour, désolé. Le prix du Courage (je sais, ce n'est pas la même chose), c'est à Jimmy Hoogerland qu'il aurait fallu le décerner.
A l'issue de son CLM, Jérôme Pineau a rendu hommage à son oncle, décédé sur la caravena du Tour, dans des circonstances encore inexpliquées.
_______________________________
Étape finale : sur les Champs, le Cav' se met au Vert.
Comme d'habitude, l'étape finale obéit à un protocole informel, mais en pratique aussi codifié que le mariage du Prince Albert. Un départ fictif interminable, un critérium cyclotouriste dans la banlieue parisienne, quelques guignolades (cette année, plutôt moins que d'habitude), et l'entrée sur le circuit des Champs, certes toujours aussi splendide, mais qui commence à avoir un air de déjà-vu.
Ensuite, le rituel continue. Une ou deux échappées qui se succèdent sans aucune chance de réussite, un regroupement, un sprint massif avec un frottage classique sans trop et le meilleur, impeccablement emmené par son train blanc, le Cav', domine Boassen Hagen et Greipel.
Il n'empêche, je suis un fervent partisan d'un retour à l'ancien principe de l'étape contre la montre finale, qu'elle arrive aux Champs, ou ailleurs. Parce que cette simagrée de critérium n'a pas lieu d'être d'une part, parce que cela permettrait d'acclamer individuellement chacun des gars qui d'une manière ou d'une autre nous ont fait vibrer, et parce que le suspense demeurerait jusqu'à la dernière minute comme en 1964, en 1968, en 1989, entre autres.
Il y avait une chance infime que le Cav' perde son maillot vert, il a mis les choses au clair sur le plan sportif. Je demeure persuadé que le règlement l'a clairement favorisé puisqu'en théorie il était deux fois hors course, et qu'à partir du moment où on le repêchait, la pénalité en points était insuffisante. Cela dit, le règlement a été appliqué et pas "tortillé". Il faudra peut être le modifier, mais évidemment pas à effet rétroactif. Une suggestion : pourquoi une étape surhumaine comme celle de l'Alpe d'Huez rapporte moins de points qu'une étape en ligne ? Pourquoi ne pas attribuer 45 points au meilleur de toutes les étapes comme cela c'est fait il y a longtemps ?
Quels faux-culs ces anglo-saxons... le gouvernement australien décrète un jour férié pour commémorer la victoire de Cadel Evans (un peu excessif quand même, ce n'est que du sport...) mais ce jour étant fixé le dimanche... ça mange pas de pain !
Un coup de gueule quand même, et pas simulé. Dopage – cyclisme ; cyclisme – dopage et patati, et patata.
Un nageur de très haut niveau vient de se faire prendre les doigts dans la confiture et il n'écope que d'un "avertissement" du Tribunal Arbitral Sportif, "sanction" exemplaire qui lui permettra de participer aux championnats du monde, quand un cycliste dans sa situation se ramasserait deux années ferme de suspension en plus, neuf fois sur dix, de son licenciement immédiat. En outre il n'a fallu que quelques jours au TAS pour rendre son "verdict" alors que comme à plaisir, la décision finale de l'affaire Contador ne sera connue qu'en août, 13 mois après les faits supposés. A part cela, c'est le vélo qui est pourri...
Fin du jeu pour cette année, et les vélolâtres vont devoir décompresser (ça ne sera pas facile...).
Merci à tous les lecteurs d'avoir suivi cet exercice sans prétention aucune qui s'est étalé sur trois semaines, et qui, sans engagement ferme – il coulera de l'eau sous les Ponts de la Seine (pardon : de l'Yonne : demandez des précisions au Félidé), nous ne pouvons donc préjuger de rien – se répétera peut être dans un an sous cette forme ou sous une autre, ici ou ailleurs.
benjamin
Les commentaires récents