Qu'un fait divers sordide soit assimilé à un débat serein sur les fins de vie laisse pantois.
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Occultons notre position vis-à-vis de l'euthanasie (souvent confondue avec le suicide assisté) quand on pense à l'affaire de Bayonne. Pour les "pro", (sauf pour quelques eugénistes qui donnent le frisson), on peut donner la mort à une personne dont on est sûr que c'était la volonté expresse. Volonté de l'intéressé, pas de ses proches susceptibles de commettre de graves erreurs d'interprétation, ou animés de pensées sordides.
Militer pour que chaque Française et chaque Français puisse choisir les conditions de sa propre fin de vie. Conformément à ses conceptions personnelles de dignité et de liberté. (ADMD)
Sur ces bases on peut réfléchir même si on est en désaccord: nous sommes aux antipodes d'un système dans lequel la société s'arrogerait le droit de décider que telle vie doit être abrégée.
Et il y a eu cette affaire à Bayonne. Un "médecin" qui instruisit seul, jugea, condamna et exécuta des coupables d'être dans le coma et, peut être, en fin de vie. Qui choisit pour cela un moyen confortable... pour lui: le curare, c'est doux pour le piqueur puisque le malade paralysé n'exprime rien; c'est atroce pour qui subit une asphyxie de plusieurs minutes (le coma n'est pas significatif puisque très souvent un comateux est conscient).
L'idée d'atterrir dans les mains d'un tel Folamour glace le sang, et on est rassuré par les réactions des soignants qui signalèrent ces dérives: l'hôpital n'est donc pas un lieu où la mort s'administre en toute impunité, éventuellement contre la volonté du patient.
Il y eut un débat passionné sur le blog "complice" A(c)Tu. Qui m'a atterré au vu de certaines réactions.
- La déviation vers les conditions de vie dans les maisons de retraite. On savonne une pente déjà glissante, parce qu'achever les vieux diminués générerait des économies substantielles... et nous sommes en période de vaches maigres. "Seringuer" plutôt que prendre en charge à bras-le-corps le Quatrième Âge?
- L'ignorance des dispositions prévues par la loi Léonetti: arrêt des soins actifs et sédation à un niveau suffisant pour annihiler les douleurs - quitte à ce que la vie en soit raccourcie; mais le geste positif d'administrer la mort est épargné tant au malade qu'au soignant (parce que les fans de l'euthanasie sauvage tiennent pour acquis qu'un individu normal qui tue en ressort indemne)
La méconnaissance des soins palliatifs - même si l'accès vers ces derniers est encore dramatiquement insuffisant. Or les soins pallliatifs offrent toutes les conditions d'une mort digne et relativement apaisée (il est rarement facile de mourir).
Prenons garde: la seringue sera toujours plus commode que quelques jours de soins palliatifs, qui seront moins chers que des soins intensifs dont des millions de gens sont sortis avec une qualité de vie des plus satisfaisantes - quand ils n'étaient pas complètement guéris. Economie diverses (on gagne aussi sur le financement des retraites)... On joue avec le feu en dispensant la société de faire les efforts nécessaires en ce domaine.
Mais pour revenir aux drames de Bayonne... Non, le "docteur" Bonnemaison n'a pas "rouvert le débat sur l'euthanasie". Il a commis des assassinats. Qui peut s'arroger ce droit divin de délivrer seul la mort? (l'instruction établira peut être qu'il y avait altération du discernement au moment des faits).
On est effrayé devant l'engouement que suscite ce meurtrier: une pétition qui réunit des milliers de signature en 48h, réclamant un non-lieu immédiat; une page facebook à sa gloire, et des milliers "d'amis" (notons que dès que vous tentez de poster une réserve, même infiniment nuancée, vous êtes banni: cela relativise la portée de la démarche)
Les débats sur la fin de vie sont légitimes. Mais ils ne sauraient être conduits à partir de faits divers sordides et c'est pour cela que je quitte l'ADMD qui a certes condamné les crimes de Bayonne, mais qui en profite pour "buzzer" - et c'est intolérable: ce qui relève de l'éthique ne saurait être dicté par des Unes de tabloïds. Et quand je vois l'engouement suscité par ces comportements aberrants, je pratique le rétropédalage.
Se battre pour l'accès aux soins palliatifs, pour l'application de la loi Léonetti**, pour l'accès au suicide assisté, dans des conditions dignes, oui. Pour l'euthanasie active? J'avoue avoir évolué en quelques jours, inquiet à l'idée que quelques centaines de Bonnemaison pas bien dans leurs têtes se sentent pousser des ailes. Et qu'un jour, contre ma volonté, un bon docteur précipitera ma fin sans avoir recueilli mon avis, après une possible erreur de diagnostic puisqu'il aura décidé seul.
** sans réserve autre que la volonté du malade: il existe aussi des patients en fin de vie qui, malgré les souffrances, veulent "s'accrocher" - et leur volonté est aussi souveraine.
benjamin borghésio
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