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Quelques paradoxes sur l'efficacité de l'enfermement tous azimuts. En Europe, on enferme entre 0,06 et 0,2% de la population; aux USA, cette proportion monte à 2%. Si on ajoute à ces incarcérés le personnel pénitentiaire, il n'est pas anodin de constater qu'en plus de sanctionner, les USA disposent d'une variable d'ajustement de l'emploi puisque la majorité des incarcérés sont en âge d'activité. Faisons comme aux USA et nous diminuerons notre taux de chômage officiel de 9.3 à 6,5% (en incluant le personnel pénitentiaire) ce qui à défaut d'être satisfaisant serait plus acceptable.
Cela se saurait, si c'était efficace. 50.000 meutres par an (en proportion, sept fois plus qu'en France), violence omniprésente, kidnappings, et la peine de mort n'empêche pas un très grand nombre de serial killers et d'assassins particulièrement barbares de sévir. La société punit durement, mais ne se protège pas.
Il y a une dimension éducative pour le condamné comme pour les autres à ce que la sanction soit effective (valeur dissuasive par l'exemple). Or en France, une course à l'échalote fait cavaler un pouvoir qui légifère à tout va dans l'émotion (un fait divers = une loi même si l'arsenal législatif est complet: 23 lois répressives en dix ans sans souci de recadrage et de cohérence. De ce fait, faute d'un cadre clair et d'une justice ayant les moyens de fonctionner, les délais s'accroissent entre interpellation et jugement. Plus grave, c'est pareil deux fois sur trois entre prononcé de la peine et exécution. Les citoyens ne comprennent pas qu'on soit jugé pour un crime deux, trois ou quatre ans après qu'il fut commis* ou qu'un délinquant condamné à la prison voit sa peine aménagée trois fois sur quatre (ne tombons pas dans la démagogie: ces aménagements sont très contraignants). Quand ils sont ordonnés par intérêt objectif, c'est cohérent. Quand on les ordonne à contre-coeur faute de place dans les prisons, on marche sur la tête.
* Faute de budget, le juge d'instruction retarde ses demendes d'expertises; les experts ne rendent plus leurs rapports quand leurs honoraires sont versés avec des mois de retard; les greffiers manquent et les actes sont remis des semaines après. Ensuite, l'instruction close, ce sont les tribunaux qui "bloquent" faute de créneaux voire d'argent pour indemniser les jurés. Enfin les victimes sont dans l'incapacité de réclamer les dommages et intérêts, l'extrait de jugement ne leur étant délivré (quand il l'est) que des mois plus tard - ce qui permet à des délinquants d'organiser leur insolvabilité.
Pour les délits qui méritent une sanction sans refléter un comportement antisocial, quelle est l'opportunité de certains enfermements - même dans l'intérêt des victimes? Quand il entraîne le chômage, elles ne seront pas indemnisées par un individu devenu indigent. Les situations ne sont pas rares, d'un type qui péta les plombs et démolit quelqu'un dans une bagarre, jugé un an après, condamné à de la prison pour être ramassé six mois plus tard sur son travail et conduit en prison! (quand une place s'est libérée). Un jugement rapide suivi d'une incarcération en semi-liberté (le condamné rejoint la prison en dehors de ses horaires de travail ou un endroit désigné par la justice: placement sous bracelet électronique) et une ponction faite sur ses revenus ou ses biens pour indemniser les victimes seraient autrement efficaces et pédagogiques.
Signalons l'inanité de mesures annexes comme la révocation systématique d'un fonctionnaire délinquant sans indemnisation et aucune chance de retrouver un emploi. Une mutation très en bas de l'échelle, hors de son administration d'origine, éviterait parfois une mort sociale dont la société ne profite pas tant, de nos jours, l'exclusion de l'emploi peut être pire qu'une incarcération.
Il y a l'aberration d'incarcérer dans des lieux qui favorisent le croupissement. On le sait et pourtant rien ne change. La promiscuité favorise l'oisiveté, la crasse, la contamination des récupérables. Le caïdat impose une terreur viscérale à la majorité des détenus, les malades mentaux (un tiers des effectifs) ne sont pas soignés, on ne tente pas de désintoxiquer les drogués (pour pallier les troubles engendrés, les gardiens ferment les yeux sur les trafics: se procurer des stupéfiants en taule est facile et ne pas aider au trafic entraîne des représailles). L'hygiène minimale n'existe pas dans les vieux établissements, mais la réponse gouvernementale, leur remplacement par les prisons neuves, est pire que le mal: plus "confortables" elles sont également déshumanisés faute de personnel ; c'est là qu'on se suicide le plus et faute de psychiatre on donne des pyjamas en papier aux dépressifs, on les réveille à chaque heure pour s'assurer qu'ils sont toujours vivants - excellent moyen de les soigner. Ces prisons sont souvent en rase campagne et loin de la famille, ce qui isole le détenu.
On vitupère contre les libérations anticipées, omettant que les sorties sèches sont les plus suivies de récidive. Si le principe des réductions de peine "automatiques" fait débat, le personnel pénitentiaire presque unanime défend les conditionnelles liées à la bonne conduite et les agents de probation soulignent leur utilité. Un détenu qui a "payé sa dette à la société" ne lui doit rien. Un autre, en liberté conditionnelle, est en théorie suivi, assisté, contrôlé (encore faudrait-il qu'il y ait du monde pour cela). Il est facile de hurler à chaque "accident" de liberté conditionnelle quand on omet les nombreux cas où elle concourut à une vraie réinsertion.
Si la société veut une politique plus répressive, elle doit s'en donner les moyens. A titre de comparaison, quand la France décida de hausser l'âge de fin de scolarité obligatoire de 14 à 16 ans, elle n'a pas mis 60 élèves au lieu de 40 dans les classes de collège: elle en a construit des milliers.
Par efficacité, le détenu doit disposer de conditions favorables non à son petit confort mais à sa réinsertion: maintien de la dignité, cellule individuelle sauf cas particulier en rapport à la situation du détenu et pas aux commodités de l'administration, activité permanente - travail, études, remise en cause de soi - soins si c'est nécessaire, sécurité et à l'opposé mise hors d'état de nuire aux autres.
Il n'est pas question de laxisme. Une activité soutenue, 12h par jour, vaudrait mieux pour tout le monde que laisser les détenus vautrés sur des matelas posés sur le sol à 50 cm des WC, occupés à regarder la télé en tirant sur un joint ou en buvant un mauvais alcool fabriqué sur place. C'est une évidence, sauf pour quelques abrutis.
Une fois n'est pas coutume... On retiendra une idée du sieur Ciotti (sans retenir la philosophie de son rapport). Il a établi que la majorité des détenus ne présentent pas de caractère de dangerosité ou de risque d'évasion. Dans ces conditions, pourquoi les incarcérer dans des établissements pour lesquelles les dépenses d'infrastructures et de personnel sont consacrées pour l'essentiel à maintenir l'ordre? Des centres sans hauts murs, sans miradors, sans filins anti-hélicos, sans grilles bloquant les couloirs, seraient adaptés à cette population (l'idée de Ciotti, "recycler" des casernes, n'est pas sotte) et l'argent ainsi gagné pourrait être injecté dans la rééducation active (en liant l'évolution de la peine à la participation effective du condamné)
Un exemple, avec le centre pénitentiaire de Caen qui accueille des délinquants sexuels et où les mesures anti-évasion sont limitées (les gardiens jugent que 95% de cette catégorie de détenu est "sage"). Mais s'il y a moins de surveillants il y a davantage d'éducateurs et de psychologues (peu de gens relevèrent la stupidité démagogique de Sarkozy qui suggéra qu'à l'expiration de leur peine, les délinquants sexuels soient traités... s'ils sont soignables, pourquoi attendre la fin de leur peine? Et s'ils ne le sont pas, en quoi des années d'incarcération changeront leur situation?)
benjamin borghésio
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