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Le long passé de la dette publique (lien lemonde.fr)
Gérard Béaur est directeur de recherches au CNRS et à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS)
Ancien président de l'Association française des historiens économistes de 2001 à 2004, il a notamment coédité "La Dette publique dans l'histoire" (Comité pour l'histoire économique et financière de la France, 2006), ainsi que "Fraude, contrefaçon et contrebande de l'Antiquité à nos jours" (Droz, 2006).
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EXTRAITS
/... Il n'est pas indifférent de rappeler que peu d'Etats ont pu se passer de dette publique. Pourtant, si l'Empire romain fut sans cesse à la recherche d'argent, il n'a jamais mobilisé des créances négociables sur un marché pour se financer et s'il y eut des emprunts, ils furent effectués de manière ponctuelle, sans qu'il y ait la moindre velléité de s'appuyer sur une dette d'Etat permanente.
Au Moyen Age, ce sont les cités italiennes (Venise, Florence...) qui ont été les instigatrices d'un système de dette publique. Le besoin de payer des mercenaires pour les conflits incessants entre les cités, et la présence de marchands riches, disposant de réseaux bancaires tentaculaires, incitaient à user de cette commodité financière.
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Forts de leur fortune personnelle, les banquiers italiens prêtaient à toute l'Europe. Cela n'allait pas sans risque. Lorsque le roi d'Angleterre, Edouard III, fut incapable de payer ses dettes au début de la guerre de Cent Ans, ce sont les grandes banques italiennes qui lui avaient prêté inconsidérément qui en firent les frais. Elles firent faillite, sans que personne ne se sente obligé de voler à leur secours. Il existe donc un excellent moyen de se débarrasser de la dette publique, c'est de ne pas payer ses créanciers et cette panacée fut réutilisée à plusieurs reprises ultérieurement. Inconvénient : par la suite, les prêteurs ne se précipitent pas forcément pour apporter de nouveau leur argent à l'Etat impécunieux.
/... On connaît la réputation de Philippe le Bel, "le roi faux-monnayeur". Capter une partie du métal en circulation par des refontes successives, jouer sur la monnaie par des dévaluations et des réévaluations incessantes, c'est la troisième méthode pour contourner le problème.
Jusqu'à Louis XIV et la Régence incluse, tous les monarques français useront de cette solution. Mais cela ne suffisait pas. Philippe le Bel est connu aussi pour avoir persécuté les juifs et les Templiers. Il s'agissait bien pour lui non seulement de ne pas payer sa dette mais de mettre la main sur les biens de ses créanciers. Les pressurer ou leur extorquer des fonds constitue des parades efficaces.
Au cours des siècles qui suivirent, si les besoins croissants de la monarchie étaient à peu près couverts en temps de paix par le prélèvement fiscal issu des désastres de la guerre de Cent Ans, la dette se creusait à chaque conflit majeur. Une grande partie de ce crédit était drainée par les emprunts sur l'Hôtel de Ville à partir de François Ier, et par la mise en vente des offices.
Les premiers passaient par le canal de la Ville de Paris qui offrait plus de garanties pour les prêteurs que le pouvoir royal. La seconde consistait à pourvoir les charges (les fonctions administratives) à titre onéreux, en sachant qu'elles étaient cessibles sur un marché et transmissibles. On avait carrément basculé d'une dette d'Etat qui ne disait pas son nom à une véritable dette publique concurrente de celle que pouvaient servir jusque-là les financiers.
Pendant les premières années du règne de Louis XIV, la dette resta contenue par une politique d'économie sur la gestion des finances et une politique douanière agressive inspirées par Colbert. La réduction de la dépense publique et le protectionnisme représentent donc deux autres issues possibles. Malheureusement, à la mort de Louis XIV, à la suite de longues et difficiles guerres, la dette atteignait de nouveau des niveaux inquiétants. On peut l'estimer à quelque 3 milliards de livres, disons une bonne dizaine d'années de revenus de l'Etat, peut-être 80 % du produit intérieur brut (PIB), tandis que le service écrasant de la dette expliquait largement un déficit évalué à 80 millions par an.
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Le gouvernement du régent crut avoir trouvé la solution avec le système de Law. L'émission de papier-monnaie par une banque d'Etat, couplée avec la création d'une compagnie par actions, permit de rembourser les créanciers et de payer les fournisseurs. Au total, environ 2,5 milliards de livres de papier-monnaie furent émis. La faillite du système, en 1720, remit tout en cause. /...
A l'issue de ce désastre, le Trésor ne fut pas totalement perdant puisque la dette fut réduite de moitié. L'émission de monnaie papier est donc un autre moyen de résoudre des problèmes financiers, quand bien même les effets pervers de cette médication ne sauraient être ignorés : hausse des prix et des taux d'intérêt...
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En 1788, la dette se montait à environ 4 milliards de livres, alors que les recettes de l'Etat n'excédaient guère 500 millions et que les dépenses atteignaient 630 millions. Pour autant qu'on puisse le calculer elle dépassait certainement 80 % du PIB. /... A ce moment, le service de la dette absorbait environ la moitié du budget et l'endettement s'accroissait de manière inexorable. Il fallut se résigner à convoquer les états généraux pour demander des subsides. La suite est connue, sur le plan politique.
Sur le plan financier, l'assemblée proclama l'égalité de tous devant l'impôt et entreprit d'unifier à l'échelle du royaume le prélèvement fiscal. Pour éteindre la dette, elle confisqua les biens du clergé, que l'on peut estimer à 3 milliards de livres, avec l'engagement de prendre à son compte les charges qui incombaient jusque-là à l'Eglise : le culte, l'assistance et l'enseignement. Pour effecteuer cette vente des biens dits nationaux dans de bonnes conditions, elle émit des billets destinés à les payer, les assignats. L'impossible réforme fiscale avait été réalisée et la dette était destinée à s'éteindre Malheureusement ce beau scénario s'effondra rapidement.
La fuite du roi, puis la guerre, les troubles et enfin la désorganisation de l'administration fiscale eurent raison du redressement financier. L'assignat se déprécia rapidement, les dépenses montèrent de manière exponentielle, enfin non seulement le niveau des contributions destinées à remplacer les impositions de l'Ancien Régime fut fixé trop bas mais les Français ne payèrent quasiment plus rien pendant près de dix ans, ou alors en monnaie dévalorisée.
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En 1797, le Directoire dut se résoudre à une banqueroute dite des deux tiers. En simplifiant, il se débarrassait d'un trait de plume de la plus grande partie de la dette en garantissant le paiement d'une rente réglée "rubis sur l'ongle" pour le tiers restant. En réalité, des mesures d'accompagnement furent prises qui permirent de désembourber les finances de l'Etat : création de nouveaux impôts, réorganisation ferme de l'administration des finances, mise en confiance des banquiers dépositaires de la dette qui offrirent au Consulat et à l'Empire un budget assaini, conforté par l'arrêt provisoire des hostilités.
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Cependant, l'endettement de l'Etat est devenu chronique car ses dépenses se sont accrues et il est politiquement délicat de taxer les citoyens au niveau que requiert le financement. Deux postes sont devenus importants : le soutien à l'activité économique, notamment en cas de récession, au moins depuis 1929 ; les dépenses sociales induites par l'Etat-providence, au moins depuis Bismarck en Allemagne. Un troisième vient d'apparaître inopinément : le secours des banques mises en péril par l'absence de toute régulation.
Sauf en cas de guerre, et encore, la dette publique ne devenait insupportable qu'à la suite des errances antérieures de la politique financière et budgétaire. Si la monarchie succomba, c'est parce qu'elle ne fut pas capable de supprimer les avantages fiscaux des privilégiés. Le gaspillage des fonds publics, l'absence de système fiscal performant, l'incapacité à traquer la fraude, les politiques laxistes qui consistent à favoriser certaines catégories sociales ou certains lobbies sont les voies d'entrée d'un endettement excessif.
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- L'exécution des créanciers ou l'extorsion de fonds étant a priori exclus, la banqueroute ou l'inflation, en suivant l'exemple de Law ou de l'assignat. Elles permettent de spolier violemment ou en douceur les créanciers. L'inflation fut encore très efficace après les deux guerres mondiales mais on en entrevoit les effets indésirables.
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Une lecture attentive de cette "histoire de la dette publique" permet de constater qu'il existe bel et bien des moyens de résoudre le problème, que ce soit en suivant la voie "libérale" ou une autre, plus proche des intérêts des non possédants.
benjamin borghésio
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