(note politiquement incorrecte)
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Qu'il soit clair que je suis contre la peine de mort. Totalement, sans restriction. Cela n'empêche pas de poser quelques questions quant à la géométrie variable relative à l'indignation qu'elle soulève eu égard au nombre de personnes concernées par rapport à tous ceux qui meurent dans des conditions abominables, sans avoir rien fait pour le mériter, qu'un effort très modéré de l'humanité sauverait à coup sûr. En septembre 2011, on a plus de chance d'échapper à un triste sort si on est un condamné à mort aux USA, que si on est un gosse dénutri et victime du paludisme quelque part dans la corne de l'Afrique orientale. C'est un premier point qui ne me laisse pas indifférent.
Autre "comparaison" sinistre, qui relève du racisme tranquille. On tient pour acquis que Chinois, Saoudiens comme Iraniens - parmi d'autres - condamneront toujours à mort et à grande échelle, après des procès rien moins qu'équitables, sans même une base juridique acceptable pour d'autres que des fous de Dieu assez abrutis pour prendre au pied de la lettre un texte vieux de plus de quinze siècles (si on se réfère aux deux derniers pays cités).
S'il fallait se remuer pour chaque pendaison publique en Iran, chaque décapitation en Arabie autant qu'on le fit pour tenter de sauver Troy Davis (dernier exécuté de marque aux USA), il faudrait pétitionner et défiler à plein temps - et le fait même que si les USA tentent avec une réussite inégale d'exécuter de la manière la "plus douce" possible quand en Iran on multiplie les raffinements dans le supplice (lapidation ou flagellation préalable à un étrangement puisque le corps n'est pas précipité, mais lentement hissé) n'entre pas en ligne de compte: ce sont eux qu'on montre systématiquement du doigt.
Ensuite, il y a les bons condamnés, dignes d'être défendus, et les autres.
Davis, Brewser
Troy Davis, condamné à mort en 1989 pour avoir tué un policier. Noir, s'exprimant posément, en outre pourvu d'un dossier qui laisse apparaître des doutes sur la manière dont fut conduit son procès: la plupart des témoins reconnaissent avoir été influencés, des membres du jury qui le condamnèrent exprimèrent des doutes, le procureur même appella à reconsidérer le procès, etc. Rien n'y fit: la chambre des grâces de Georgie (ce pouvoir y est collégial) n'a pas cru devoir revenir sur le verdict et la sentence fut exécutée. Quelques abrutis ont stigmatisé Obama, oubliant que dans un pays fédéral, pour un crime qui relève de la justice locale, le président n'a aucune influence et que la séparation des pouvoirs est un postulat tel qu'une intervention serait contreproductive et vraisemblablement jugée inadmissible par les abolitionnistes eux-mêmes. Quant à la Cour suprême, elle ne peut juger que sur la forme et c'est ce qu'elle fit: nul ne sait ce qu'en pensaient ses magistratss, en leur for intérieur.
Mais qui a entendu parler de Laurence Brewser, exécuté la même semaine au Texas? Lui, c'était le sale type par excellence: un Blanc membre du Klu Klux Klan qui tua un Noir sur la base de ses préjugés racistes, dont la culpabilité était évidente. Une très sale gueule, en plus. Haineux, détestable. Qui scandalisa l'opinion en formulant des exigences démesurées pour son "dernier repas", ce qui a mené les autorités texanes à supprimer cette coutume (qui relèvait davantage d'un rituel barbare que d'une fleur faite au condamné puisqu'elle participe au processus qui rappelle la mort imminente; mais ce n'est pas comme ça qu'on la percevait là-bas)
Autre condamnée pour qui, là, on se mobilisa beaucoup même si ce fut sans succès: Teresa Lewis. Plus que pour d'autres parce que femme (déficiente mentale à un degré léger certes... mais c'est le cas de deux condamnés sur trois aux USA). Or on se bat avec raison depuis des décennies pour l'émancipation de la femme et dans ces conditions on ne voit pas pourquoi ces dernières devraient être traitées avec davantage de pitié que les hommes sauf à considérer qu'elles n'ont pas les mêmes facultés de jugement - et ça remettrait en cause leur droit à exercer des responsabilités.
En France, en 1933, Violette Nozière, voleuse, parricide, qui de surcroît porta des accusations infamantes contre son père, écopa d'une peine finalement dérisoire avant d'être réhabilitée (!) quand un jeune homme qui aurait commis le même crime passait sur la bascule à coup sûr. Mais à l'époque les femmes ne votaient pas et étaient considérées comme relevant de l'autorité parentale ou conjugale. D'où cette indulgence: grâce automatique puis forte réduction de peine décidée par Pétain.
Qui se souvient de Timoty McVeigh? le 19 avril 1995, ce dingue fasciste, obsédé par sa haine du pouvoir fédéral, fit sauter le bâtiment regroupant les agences gouvernementales d'Oklahoma-City, tuant 168 personnes dont une vingtaines de gamins de la crèche du personnel. Qui défendit Mc Veigh? Qui milita pour qu'il ne soit pas condamné à mort, ou plus tard, pour qu'il soit gracié par Bush? (là, il s'agissait d'un crime fédéral)
Timoty Mc Veigh (photomontage; au second plan, l'immeuble fédéral détruit)
Face à la peine de mort, il n'y a qu'une attitude possible: on est pour ou contre. Entrez dans la logique: "je suis contre sauf...", et vous êtes en sa faveur parce qu'au gré de l'émotion du moment, le curseur sera déplacé. Le passé l'a suffisamment démontré en France, avec nombre de bougres coupés en deux parce qu'ils avaient eu la malchance d'être jugés peu après un assassinat particulièrement sordide quand avant ou après, ils auraient sauvé leur peau. Aussi parce que chacun a "sa" conception de l'horreur suprême. Pour l'un, ce sera l'assassinat d'un policier; pour l'autre d'un enfant; pour un troisième d'un vieillard ou d'un infirme, etc.
Les abolitionnistes pour qui c'est le combat d'une vie ne gagneront en crédibilité que quand ils se mobiliseront autant pour un Mc Veigh, un Brewser, que pour un Davis. Que quand ils n'agiteront pas l'argument "femme" pour tenter de sauver T. Lewis. Si Timoty Mc Veigh n'avait pas été condamné à mort ou s'il avait été gracié, il aurait été quasiment impossible d'exécuter quiconque après, par "comparaison".
En France, Badinter ne s'y trompait pas quand il défendait des individus particulièrement répugnants, indéfendables justement. Le fait que Patrick Henry (que le même Badinter méprisait à un point qui donne une idée de l'infini) ait sauvé sa tête aux Assises de l'Aube, parmi les plus répressives de France, fut le coup décisif qui ébranla l'édifice. Il fallut seulement attendre encore quelques années et l'arrivée au pouvoir d'un homme d'état qui remplaça un politicien.
Et que les abolitionnistes "équilibrent" quelque peu leurs indignations jugées sélectives par le commun des mortels (forcément beaufs). Pour abominable qu'elle soit, la peine de mort concerne entre 2 et 3.000 personnes chaque année dans le monde : beaucoup moins que les accidents du travail dans la seule France. Badinter et béhachel auraient été, seraient, plus audibles s'ils se préocupaient également des salariés dont l'innocence ne fait aucun doute, qui se suicident sur leurs lieux de travail, parfois en s'immolant par le feu. De ces gosses jugés et exécutés sans appel par le paludisme ou faute d'eau potable, etc.
Ce combat légitime en soi est par trop intellectualisé, caviardisé. C'est pourquoi, tout en rejetant l'idée même qu'une société puisse tuer un de ses membres, je n'en fais pas le combat de ma vie. Le sociétal, ça va quelques temps, pas plus.
benjamin borghésio
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