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La France est un des rares pays, avec la Grande Bretagne, qui conserve le scrutin législatif majoritaire par circonscriptions, jugé le mieux adapté parce qu'à même de donner une majorité claire C'est un postulat, chez nous que sans cette disposition, le pays serait ingouvernable faute de majorité. Pourtant, bien que le différentiel de voix ait rarement autant favorisé les Conservateurs, Cameron, à la tête d'un parti profondément eurosceptique a dû composer avec les LibDem, europhiles s'il en est, pour un improbable mariage de la carpe et du lapin: le scrutin majoritaire réserve des surprises perpétuelles dont nous avons eu quelques exemples en France. Nous pourrions fort bien nous peut fort bien se doter d'un parlement sans majorité absolue!
En 1968 et en 1981, la "vague bleue" (UDR), en 1981 la "vague rose" (PS) ont donné une majorité écrasante à un seul parti qui ne réunissait pas plus de 37% des électeurs au premier tour (la "vague bleue" de juin 68? +4% des électeurs par rapport à 1967, mais doublement du nombre de députés de droite). En 1978, la coalition RPR-UDF remporta nettement les élections (majorité de plusieurs dizaines de députés) alors qu'elle était battue en voix par le PS allié au PC. En 2007, la gaffe de Borloo qui évoqua une "TVA sociale" entre les deux tours des législatives fit perdre de 50 à 60 sièges à l'UMP. Qu'un séide de Sarkozy ait sorti une autre boulette, et l'UMP était privée de majorité: des dizaines de circonscritions furent attribuées sur le fil du rasoir à des députés sarkozystes (51% des voix, ou moins).
Le scrution majoritaire a aussi contraint Barre à gouverner avec une majorité relative, entre 1976 et 1978: le RPR était dans l'opposition de facto et seul le passage en force répété (article 49-3) permettait au gouvernement de ne pas être renversé. Entre 1998 et 1993, pourtant sans majorité absolue, Rocard, Cresson puis Bérégovoy ont mené leur politique (plusieurs motions de censure ont pourtant été déposées, qui n'ont pas abouti).
A rebours, le scrutin majoritaire, offre une tribune surdimensionnée à des groupuscules de notables sans assise légitime. Le Nouveau Centre de l'ectoplasme Morin, par exemple, kesaco? Qui connaît un citoyen qui adhère "aux valeurs du Nouveau Centre"? Ces notables prêts à se vendre au plus offrant contre une prébende forment un groupe conséquent de députés, quand Bayrou qui les a faits, malgré ses 18% aux dernières présidentielles, est dans un isolement pathétique. Le PCF conserve un groupe grâce à sa bonne implantation locale, ses élus appréciés de leurs administrés... mais il doit se défendre en permanence contre les agressions socialistes, des mêmes qui sollicitent sans vergogne et encaissent comme un dû son apport là où c'est nécessaire.
Combien les Verts d'EELV auraient de députés sans les cadeaux du PS? Cette circonstance est déplorable pour la Politique au sens noble, comme pour les deux partis: parce que EELV, après avoir agité les Grands Principes des années durant, transige de façon politicarde pour obtenir des circonscriptions en or et parce que le PS se sent contraint de trop leur céder... ce qui est le cas en 2011 puisqu'ils ont obtenu le beurre et l'argent du beurre: contre soixante circonscriptions dont trente gagnables, le PS était fondé à exiger un soutien aux présidentielles dès le premier tour. La haine d'Aubry vis à vis de Hollande en a décidé autrement et aboutit à un accord improbable et indéfendable, des dissensions durables et des blessures qui ne cicatriseront pas.
Finalement, ce mode de scrutin officiellement destiné à apporter de la clarté ne fait que renforcer en amont magouilles et ambiguïtés.
L'Italie, l'Allemagne, les Pays-bas, L'Espagne jusqu'aux dernières élections et de très nombreux autres pays en Europe comme dans le monde sont gouvernés par des coalitions issues de majorités relatives établies à la proportionnelle - et personne n'a dit qu'ils étaient ingouvernables! (qu'ils soient été bien ou mal dirigés, c'est une autre question). Ajoutons ces très nombreuses majorités parlementaires qui pourraient se suffire à elles-mêmes et qui néanmoins tentent de s'élargir non pas tant par efficacité, mais pour élargir leur base et travailler sur un consensus minimal. Evoquons enfin pour faire un peu d'humour le cas de la Belgique, privée de majorité donc de gouvernement pendant plus de 500 jours et qui ne s'en est pas plus mal portée, au contraire (diminution de la dette et du chômage...): apparemment les ennuis commencent pour les Belges avec la nomination du gouvernement di Rupo.
Revenons à la France. En 1986, un mode de scrutin proportionnel fut instauré par circonscription au niveau du département. Et malgré les hurlements de la droite, il en est résulté une représentation équitable à la Chambre: la coalition RPR-UDF qui obtint 44% des voix put gouverner avec la majorité absolue des sièges et faire sa politique. Elle ne fut pas empêchée de privatiser de manière effrénée en bradant les actifs, de voter moultes lois sécuritaires, de remettre sa main - de fer - sur l'audiovisuel avec la création de l'improbable CNCL et... de rétablir le scrutin majoritaire. Le PS, avec 30% des voix, conserva un groupe conséquent (avec le scrutin majoritaire il aurait quasiment disparu), le PCF d'être représenté en toute indépendance, les écologistes d'avoir leurs premiers représentants.
Certes - c'est la principale objection - le FN obtint des députés avec la proportionnelle. Et alors? Quelle que soit la répugnance que ce parti inspire, est-il normal que 10% (son poids électoral à l'époque) des citoyens soient frappés d'ostracisme et pas représentés, dès lors qu'ils votent pour un parti qu'on considère encore comme légal? Ou le FN a le droit de se présenter et la manipulation du mode de scrutin pour le censurer a priori est scandaleuse et inefficace (ça lui permet de pincer la corde sensible de la victimisation) ou on considère qu'il se met hors-la-loi de la république et on le dissout selon les procédures légales.
De 1986 à 1988, la France fut gouvernée sans heurt de nature institutionnelle, avec la porportionnelle. Il faut arrêter avec les lieux communs! Ce qui déconsidéra la IVe République, ce n'était pas la proportionnelle mais les "combinaziones" hors nature (loi des apparentements qui faisait une majorité avec une forte minorité) tout autant que le sabotage organisé par le RPF. Ce qui rendit la IIIe République inefficace, ce fut le pouvoir exorbitant dévolu au Sénat, assemblée de notables par essence conservateurs, de renverser les gouvernements au même titre que la Chambre.
La proportionnelle - quitte à donner un "plus" aux listes arrivées en tête comme ce fut le cas en 1986 dégage une repésentation à la fois majoritaire et plus équitable. On pourrait imaginer un mode d'élection par région - chacune envoyant un nombre de parlementaires proportionnel au nombre d'habitants, sur la base d'une proportionnelle à deux tours et possibilité de fusion des listes ayant obtenu un certain pourcentage, restes attribués selon "la plus forte moyenne" pour éliminer les groupuscules.
En outre les ciseaux magiques utilisés lors du redécoupage des circonscriptions (après Pasqua, Marleix fut orfèvre en la matière) favorisent le plus souvent la majorité. Avec l'actuelle carte électorale, une opposition bâtie autour du PS et qui obtiendrait 45% des voix contre 40 à l'UMP pourrait se retrouver minoritaire - et nul doute que si alternance il y a, le redécoupage que ferait le nouveau pouvoir porterait autant à controverse.
La proportionnelle aurait d'autres avantages: la clarté dans la désignation des candidats et lors de l'exercice de la fonction parlementaire.
Parce qu'on oublie la fonction d'un député qui n'est pas de danser avec les mamies dans les bals de sa circonscription, de bisouiller les enfants lors des distributions des prix, de décerner le ruban attribué au "plus beau taureau du terroir", de suppléer les assistantes sociales, etc.
Elle est de voter les lois, de participer aux commissions, de contrôler le gouvernement. Or un député qui ne ferait "que" son travail est assuré de voir son siège passer à l'adversaire au cours des élections à venir: le même électeur qui stigmatise l'absentéisme parlementaire ne tolère pas que "son" député ne réponde pas dans les 48h à un courrier qu'il lui a envoyé et ne supporterait pas qu'il "déserte" sa circonscription.
En outre la désignation sur liste éviterait les grenouillages qui donnent une piètre image de la politique. Fillon qui expulse la bonniche arabe pour prendre sa circonscription parisienne parce qu'il a peur d'être congédié par ses manants de la Sarthe. Les pérégrinations de Lang: après les péquenots de Blois, les bouseux du Pas de Calais ont fait savoir que Sa Grandeur était indésirable (on parle de le faire riper de la Place des Vosges aux Vosges tout court). Duflot qui craint à juste titre le suffrage universel (à défaut d'avoir du sens moral elle n'est pas tout à fait idiote) et prétend virer une députée populaire dans sa circonscription où elle a toujours vécu: foin de la parité, foin du courage électoral. Royal qui s'impose à la Rochelle ("j'ai le droit à des égards"... Ah bon? Il y a des situations acquises en démocratie, surtout quand on a ramassé une déculottée mémorable quelques semaines auparavant?) L'improbable Lefèvre qu'on envoie se faire élire aux USA où une vache le serait, avec l'étiquette UMP. J'en passe, et des pires.
Avec le scrutin de listes, les militants des partis qui ont des prétentions à la désignation démocratique choisiraient globalement leurs aspirants élus du peuple et l'appareil les placerait au mieux pour assurer leur succès. Pour les mouvements qui fonctionnent selon le mode de désignation par le chef, rien ne changerait. Et contrairement au truisme habituel, la prise de distance relative servirait l'intérêt général: on se déterminerait en fonction de de dernier et pas selon le contexte local. Ne resterait plus (c'est déjà beaucoup) qu'à tenir les groupes de pression à distance.
Quoi de pire que le système du moment, avec un mode de désignation à géométrie variable? Ici, les militants choisissent (et souvent plus un local chenu qu'un parlementaire potentiellement compétent - et que dire de ces barons qui achètent leurs troupes, font et défont les rois?). Là, ils choisissent entre deux ou trois figures imposées par l'appareil ou le chef. Ailleurs, on leur impose un candidat issu d'un autre parti au nom des combinaziones, quand bien même cet "allié" leur tire dans les pattes depuis des années.
Qui, sérieusement, soutiendra que ce système participe à la moralisation de la vie politique?
benjamin borghésio
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