Conscient que je ne vais pas me faire que des amis dans les rangs de la "gôch' bien pensante", je dis ce que j'ai sur le coeur, à rebours de la démagogie ambiante. Peut être parce que j'ai commis un bouquin (et que j'en prépare d'autres qui me font transpirer), et que je concevrais mal que je ne sais trop quel comité ou jury citoyen, hors le droit commun sur la nécessaire répartition des richesses par la fiscalité et le soutien du à la création s'arroge le droit de décider de la juste rémunération de mon travail.
Parce qu'avec les licences globales, c'est de cela qu'il s'agit!
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Il s'agit de protester devant ce monument d'hypocrisie qui, par suivisme, condamne l'individualisation des droits d'auteur – quel que soit l'art concerné : musique, littérature, théâtre, photographie, cinéma, arts plastiques etc. voire de nouvelles formes de création (jeux vidéo)
L'Hadopi est évidemment une aberration. Les petits malins contournent les barrages en employant toutes les mesures que le surf "en anonymat" permet (pour les broutilles, ne pas rêver : dès que les intérêts vitaux des états sont en jeu, ils savent fort bien se défendre et quand ils sont démocratiques, c'est fort bien ainsi) et ne se font guère prendre que les blaireaux et les innocents piratés.
Certes il est inacceptable qu'une autorité administrative puisse définir des mesures qui, sans l'être formellement, s'apparentent à des sanctions pénales et c'est en ça qu'Hadopi est inacceptable. Il n'empêche, se servir sans payer est inadmissible "même si c'est cher" (le même qui fait cela au profit de sa daube musicale s'en garde bien dans un hypermarché: les vigiles lui fichent la trouille et pourtant un camembert est plus vital qu'un titre oublié dans six mois.
Et surtout, Hadopi ne réduit pas les méfaits des vrais truands du téléchargement qui en font une activité très lucrative (pour eux-mêmes et au détriment des créateurs: on ne "partage pas", on vend certes à prix cassé, mais avec une marge infinie puisqu'on n'a pas de mise de fonds).
Il n'empêche. Une œuvre appartient à son auteur jusqu'à ce que la propriété soit abolie et si on doit imposer les revenus qu'elle engendre, le patrimoine qu'elle représente, on ne voit pas au nom de quoi quiconque aurait le droit de spolier son créateur.
Le mode de rémunération par le salaire, les cachets ou les droits est à ce jour le seul légitime quant au principe, quitte à l'aménager. Les idées de "licence globale" distillées ici ou là avec – pourquoi pas, ça se lit! – je ne sais trop quel comité qui déciderait de la répartition des droits prélevés globalement (on évoque jusqu'à des assemblées citoyennes qui donneraient leurs préférence... Mais se rend-on compte dans manipulations possibles sur les plans politique et... commercial avec le poids comparé d'un monument de l'édition en face d'une maison locale, d'une Major opposée à un petit producteur ?)
Mon propos n'est pas de pleurer sur les "Majors" ou sur certains éditeurs (quoique la plupart de ces derniers, comme les libraires, sont en train de crever) qui se sont fait des génitoires en or massif plaquées de diamant avant de souffrir un peu, avec la possibilité de dupliquer à l'infini des copies numériques sans que ces dernières ne fussent altérées (d'où l'inutilité de télécharger légalement, ou d'acheter un CD).
Notez que les vraies vedettes du spectacle, depuis "Ah que d'Johnny" jusqu'à Noah l'ami du peuple se sont adaptés. Leurs revenus n'ont en rien diminué: acceptant de gagner moins sur les ventes de titres, ils se rattrapent - et au delà ! - avec des concerts dont le prix d'entrée est inaccessible au plus grand nombre, générant à l'occasion un trafic de billets achetés en masse dès leur émission et revendus plusieurs fois leur valeur (déjà considérable). J'appartiens à une époque où je pouvais aller écouter "mon" chanteur favori (c'était rarement ce que je faisais de plus intelligent sauf quand il s'agissait du père Georges) en écornant certes sérieusement un budget plutôt mince, mais sans me priver de manger. De nos jours...
Est-il normal que dès qu'un film d'auteur ou du moins, au budget de production encore accessible sort en salle, un petit malin en collusion avec un machiniste ou qui se rend dans la salle avec son camescope fasse sa copie qu'il s'empresse de mettre à disposition de tous, souvent en prélevant sa dime ce qui rend la part d'altruisme des plus limitée, euphémisme? Est-il normal que pour maintenir la fréquentation des salles on doive se lancer dans des programmes gigantesques dans lesquels la culture n'a que peu de place, où la forme l'emporte sur le fond (3D, Surrond et "toute cette sorte de choses" plutot que la qualité de la mide en scène, du scénario et du jeu de acteurs?
Dans le domaine du Livre, l'argument éculé... "Marc Lévy" et ces types qui assèchent l'édition en captant l'essentiel des recettes, bâtissent des fortunes en mettant sur le marché du pré-formaté voire de la bonne daube, assurée par la renommée acquise au fil du temps plus un plan média impeccable de générer des ventes qui suscitent des profits colossaux tant pour les auteurs que les éditeurs quand, à côté, de vrais talents s'étiolent (à côté d'un Rouaud qui écrivait depuis son kiosque à journaux et qui finit par percer, combien de génies sont passés à la trappe ?)
On évoquera aussi les machines à vendre comme celles de Béhachel, qui n'a pas terminé son dernier bouquin que la coterie se répand sur tous les médias pour expliquer à quel point il est génial, et démontrer qu'on est le dernier des ploucs - en outre antisémite, pétainiste et complice des immondes dictatures si on ne le lit pas au plus vite (le plus drôle étant que les contempteurs du bonhomme, dont je fais partie, participent involontairement à sa promotion)
Alors effectivement, l'idée d'une licence globale qui permettrait d'appliquer une péréquation entre auteurs connus qui vendent et auteurs en devenir peut sembler "la bonne idée". Mais qui décidera du statut "d'auteur en devenir" ? Il faut avoir parcouru les services de réception de manuscrits des éditeurs pour constater – entre deux pouffements de rire s– la quantité de daube pas cuite ou déjà avariée qui y est déposée quotidiennement et à laquelle il est impossible de répondre autrement que par une formule convenue.
Rémunération sur les fonds dégagés par la "licence globale" en fonction des téléchargements constatés et des passages sur les ondes? Ca ne fera qu'augmenter la rente des "déjà connus" ou de ceux, justement, que les majors sauront imposer par des plans médias concoctés par les services de marketing. Qui sera le mieux armé pour démarrer, entre le fiston soutenu par les copains du papa et le gars aidé de son seul génie? Qui passe et repasse à la télévision en ce moment si ce n'est les fils et filles de que personne ne télécharge ni n'achète, qui seront (bien) payés au vu de ces indicateurs objectifs que sont les apparitions aux lucarnes?
Toutes ces idées fumeuses de répartition sur des critères de popularisation par les consommateurs de culture ne tiennent la route que chez les démagogues. Oui, il faut aider les créateurs en devenir. Oui, certains revenus de "créateurs" qui vivent sur une rente, sur un système, sont indécents.
Mais ce n'est pas à la source que l'on fera évoluer le système, ce n'est certainement pas en décrétant que M.L et ses centaines de milliers de titres, c'est de la daube alors que WZT. KW (le dernier auteur gréco-norvégien qu'on connaît vaguement parce que le copain du livreur de pizza d'une attachée de presse lui a fait obtenir trois minutes chez Ruquier et que ce jour là les deux gonzesses n'étaient pas mal lunées) et qu'en conséquence il faut taxer ML au profit du second, que l'on établira quelque chose d'équitable.
La redistribution des revenus, le soutien aux jeunes créateurs (avec un filtre quand même... ne prenons pas les enfants du bon Dieu pour les canards sauvages : tout ne vaut pas tout), c'est l'affaire de la puissance publique. Tel grand "chanteur" fait péter la thune lors d'un méga-concert ? On le taxe. Tel auteur à (très grand) succès perçoit des droits pharamineux ? Il paye des impôts en conséquence. Et les ressources ainsi dégagées (y compris en appliquant l'adage : "au delà d'une certaine somme, je prends tout" permettront de soutenir des créateurs de rang plus modeste...
- soit en leur donnant une allocation de subsistance qui leur permet de se consacrer à la création ;
- soit en abondant les droits qu'ils perçoivent de manière que ces ressources leur permettent de vivre et se consacrer à leur art.
Je ne connais pas meilleur indicateur que la quantification du public intéressé par l'artiste pour mesurer le degré de sa participation au bien commun. Si tu ne l'aimes pas assez pour le payer ou l'emprunter légalement, c'est que tu ne l'aimes pas! Et si pour ma part je suis ouvert à toute suggestion pour qu'elle soit mieux évaluée (un livre acheté par une bibliothèque et qui passe par trente mains dans l'année, ce n'est pas un livre acquis en librairie), si je suis pour l'écrêtement des situations acquises sur des bases fiscales, je ne suis en aucune manière pour le pot commun dès lors qu'on n'aura aucun critère objectif pour en redistribuer le contenu.
D'où la fausse interprétation de ces taxes sur les supports : clés USB, DVD, disques durs etc. qui rapportent peu au final aux créateurs et qui sonnent comme une justification du piratage : "j'ai payé, j'ai le droit" (parce qu'à l'heure actuelle, bien malin qui sait comment la SACEM – dont en outre les frais généraux sont énormes – répartit les sommes ainsi récoltées). Ces taxes sont une reconnaissance de l'existence du piratage et le piratage n'est qu'un vol, point barre.
A cet égard, un mot pour ces "bienfaiteurs de l'humanité" présentés comme tels : je pense au nouveau Robin des Bois fondateur de Megaupload, Kim "Dotcom" Schmitz dont l'objectif trompeté était de divulguer du contenu au plus grand nombre pour "démocratiser la culture". Fortune personnelle acquise en peu de temps grâce à cet accès d'altruisme : 170.000.000 de dollars... A ce prix je deviens Mère Teresa des consommateurs!
benjamin borghésio
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