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C'est une idée ressassée par la droite populiste dont la stratégie est de dresser les citoyens les uns contre les autres, espérant profiter des divisions ainsi suscitées : "la France meurt du cancer de l'assistanat" (Wauquiez qui proféra cette énormité oublie qu'il fut assisté dès sa prime jeunesse, "naturellement", par un milieu social privilégié et le carnet d'adresses qui en découle. Quid de ce cancer qui fait que ce n'est plus au mérite qu'on progresse, dans la plupart des cas ?).
Tout d'abord, pourquoi ne parler que des supposés parasites qui refuseraient de vivre de leur travail en occultant pudiquement les millions de gens qui seraient ravis qu'on leur en proposât un, qui serrent les poings quand on les menace de suspension des allocations dès lors qu'ils auraient refusé trois offres d'emplois viables alors qu'ils en attendent désespérément une ?
La lecture (ce livre devrait être un ouvrage culte et tout DRH, syndicaliste, politique, digne de ce nom devrait l'avoir lu et analysé) de Quai de Ouistreham (lien) est éclairant, avec la description du quotidien de ces innombrables travailleurs plus que pauvres : miséreux, qui font à leurs frais des dizaines de kilomètres en voiture pour gagner une vacation de 20 euros en se cassant le dos, en se brûlant les mains avec des produits corrosifs et qui n'envisagent pas de solliciter un RSA qui rapporterait davantage que leur activité ou qui a minima leur garantirait un complément de revenu appréciable dans cette situation. Travailleurs qui ignorent leurs droits ou qui, plus souvent, les refusent par fierté.
Qui sont les privilégiés en 2012 ? C'est Morano qui fournit la réponse :
- Quand on a le privilège d'avoir un emploi, on fait tout pour le garder!
Tout est dit : le droit au travail inscrit dans le préambule de la Consti- tution devient un privilège aux yeux de ceux qui prétendent stigmatiser les assistés... La privilégiée de 2012, pour une ministre UMP, c'est la petite vendeuse de fringues et ses 1.200 euros mensuels.
A tout demandeur d'emploi, correspond-il une offre "acceptable"? Faisons un peu d'arithmétique. Nous avons en France, toutes catégories confondues, entre quatre et cinq millions de chômeurs recensés, à temps plein ou qui travaillent à temps (très) partiel et non choisi (le plus souvent dans la précarité et dans des conditions épouvantables). Ajoutons les dispensés de recherche d'emploi parce qu'ils sont près de la retraite, handicapés (quand bien même ils veulent travailler pour améliorer leur maigre allocation ou pour s'insérer). N'oublions pas – Pôle Emploi a reçu des consignes pour embellir les statistiques – les radiations abusives. Un retard de 24 heures pour un pointage, quand bien même vous n'avez pas reçu la convocation, parce que vous étiez à ce moment dans un entretien d'embauche, parce que votre courrier fut égaré etc. et c'est la radiation, la suspension des allocations. Certes la situation est régularisée a posteriori, mais cela permet de garder hors statistiques des dizaines de milliers de chômeurs supplémentaires plongés (c'est accessoire) dans le désespoir par une agression sociale de plus.
Faisons aussi l'impasse sur les vrais exclus qui ne se font recenser nulle part (dont bien des SDF) : plus d'une centaine de milliers qui échappent à toute statistique.
En face, nous avons un certain nombre d'offres d'emplois. Demeurons dans l'indéfini parce que si elles étaient recensées catégories par catégorie il y a peu, l'information est dé"sormais rendue illisible. Les estimations varient, toutes offres inclues, de 150.000 à... 400.000 pour les plus optimistes, en incluant les temps très partiels et dans des conditions de travail inacceptables malgré la bonne volonté du demandeur (nous y reviendrons). Comme on évalue à 200.000 le nombre structurel d'offres d'emplois facilement pourvues (un salarié est parti à la retraite ou a démissionné, le DRH se donne quelques semaines pour le remplacer : c'est une offre d'emploi au regard des statistiques)...
... il y a tout au plus 200.000 offres très hétérogènes face à plus de 4,5 millions de chômeurs.
Qui, dans ces conditions, osera prétendre que contraindre les chômeurs à accepter ce qu'on leur propose résoudrait le problème du chômage, surtout quand on analyse les "offres" qui leur sont faites ?
Parce si on compte les CDI même payés au SMIC... on tombe à moins de 100.000 offres. Or pour s'insérer, ce genre de contrat est le seul possible. Allez tenter de signer un bail pour un logement, fût-il un galetas, sans CDI ou sans des cautions vigoureuses, demandez le crédit indispensable (parce que vous n'avez pas de mise de fonds) pas pour acquérir le futile mais pour une gazinière, un frigo, un matelas et la télé (puisque vous n'aurez pas les moyens de vous distraire à l'extérieur avec 1.000 euros moins "l'incompressible": il ne reste souvent que 300 euros sur lesquels il faut se nourrir)
Pour le reste, qui peut accepter un poste à temps fractionné : 12 heures hebdomadaires payées au SMIC pour faire du nettoyage industriel, répartis sur quatre postes assez éloignés pour qu'une voiture soit exigée – surtout que deux de ces postes démarrent respectivement à 3h du matin et 23h ? (aucune indemnité de déplacement prévue pour 30 km par jour, et le nettoyage de l'uniforme est à la charge de l'employée). On a des dizaines de milliers "d'offres" de ce genre.
Qui peut travailler à la plonge dans un restaurant quand la paye officielle est de 101% du SMIC (Concession de la corporation après le cadeau royal sur la TVA) pour 35 heures théoriques... mais souvent 60 heures en pratique courante même dans des établissements très cotés - sinon des immigrés en situation irrégulière qui ne peuvent pas revendiquer l'application de la loi ?
Quelle mère de famille isolée n'hésitera pas à accepter quelques heures apparemment "faciles" (surveillance de sortie des écoles voire d'une étude après les cours) si pour une rétribution de dix heures hebdomadaires elle doit trouver – et payer – une "nounou" puisque par définition elle sera indisponible quand ses gamins auront besoin d'elle ?
La droite dite populaire (ou sociale, c'est selon : fallait oser), celle qui met des chaussettes en soie qui puent autant que celles du FN, s'est prise les pieds dans le tapis avec cette histoire et Sarkozy dut rétropédaler : le référendum sur "l'obligation d'accepter une formation professionnelle pour un chômeur" – devoir déjà prévu par la législation ! – a vite évolué "en droit à formation pour les chômeurs". Il faut un référendum pour ça, plutôt que pour ou contre le Mécanisme Européen de Stabilité? Qui serait contre un nouveau droit social ?
Parce qu'en dehors de retraités (depuis un certain temps et la plupart du temps sans petits enfants) avec leurs souvenirs d'une croissance annuelle à 7 ou 10% et du corollaire: le plein emploi et de quelques abrutis privilégiés, la majorité des Français – y compris ceux qui votent à droite – est confrontée au chômage et à la précarité à travers sa situation, celle du conjoint, d'amis et surtout de ses enfants qui à plus de 25 ans, grâce au modèle de société imposé par l'Europe qui protège et la mondialisation bienheureuse alternent encore chômage et petits boulots précaires payés le minimum malgré une formation conséquente.
Ce discours de haine de l'assisté prend beaucoup moins. Et chez ceux qui subissent la précarité comme chez leurs proches, il déclenche une hostilité viscérale.
À suivre demain.
benjamin borghésio-ruff
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