Rarement le désenchantement sera survenu aussi tôt : l'antisarkozysme est certes un sentiment très sain compte tenu du personnage, mais il ne constitue pas une politique.
_________________________
Il faut que Hollande comprenne qu'un pays en crise ne se gouverne pas comme on administrait le Parti Socialiste à coup de "synthèses" et de dosages subtils, en repoussant sans cesse les questions qui fâchent. Ca ne marche plus, et la spirale descendante est entamée à un rythme tel qu'on voit mal comment le pouvoir redressera la pente. La méthode Hollande - créer une commission ou initier des "états généraux" dès qu'une question est soulevée - atteint là ses limites et c'est d'autant plus révélateur que sont les plus touchés des ministres qui logiquement devraient être épargnés par ce désenchantement. Par exemple...
Peillon est un des rares à pouvoir annoncer des créations nettes de postes, mais son annonce de grands "états généraux de l'Education" l'a démonétisé. Des évaluations, des concertations, il y en a eu des tas: sous la gauche, sous la droite, avec des solutions "de gauche", "de droite", "centralisatrices", "allant vers plus d'autonomie", libérales ou ayant le sens de l'intérêt public, visant la formation des enseignants, j'en passe et des meilleures. Il est temps non pas de refaire du blabla, mais de prendre ses responsabilités (d'autant plus que le ministre est certainement un des hommes qui connaît le mieux la boutique, ses attentes comme ses besoins).
Duflot qui s'est auto-torpillée avec son attitude infantile d'ado acnéique atteinte de twittage compulsif et de tenues provoquantes au point de n'avoir déjà plus aucune crédibilité, dont la chute dans les sondages démontre aisément que le soutien d'EELV n'est qu'un boulet, Hamon que le positionnement à gauche devrait protéger, etc.
Un exemple illustre parfaitement l'hypocrisie et le manque de courage de cette équipe: le prix des carburants. Il y avait trois manières de gérer le problème.
- Faire preuve de courage politique en disant que le pétrole facilement prospectable se raréfiant, la vérité des prix doit être maintenue pour inciter à en consommer moins (quitte à aider les gens à trouver des substituts en améliorant les transports en commun, en accélérant les travaux d'isolation, etc. Voire en soutenant les plus précaires - travailleurs de condition modeste vivant dans des zones non desservies par un réseau public avec des aides personnalisées). C'est la position d'EELV et pour une fois, je la partage.
Encore faudrait-il ne pas exiger en parallèle la fin du nucléaire, et le refus des gaz de schiste doit être accompagné d'une réflexion. "Gaz de schiste ni ici, ni ailleurs" disait-on avec justesse: il faudra, en plus de ne pas prospecter en France, se refuser à en importer, faute de quoi nous serions d'une rare hypocrisie.
- Ou bien tenir la promesse de campagne (blocage des prix) et pour cela, rogner sur les rentrées fiscales liées à la vente des carburants et du fioul... Ce qui suppose trouve des recettes ailleurs et avoir le courage de l'annoncer. Parce que dans le cadre d'une économie mondialisée que le PS a acceptée, il est impossible de contraindre les pétroliers à vendre à perte, ou même en faisant moins de bénéfices: la demande est telle qu'ils cèderaient leurs produits ailleurs, là où on les achèterait aux cours mondiaux et nous aurions une pénurie totale. Même Total ne peut être contraint à quoique ce soit, son capital étant presque totalement aux mains d'actionnaires privés (et si la privatisation fut initiée par la droite, elle fut achevée sous l'ère Jospin / Strauss-Kahn qui ont renoncé à la minorité de blocage).
- On pouvait au moins reprendre, sur le plan fiscal, la méthode Jospin, à savoir une TIPCE "flottante": à chaque fois que le brut augmente, les recettes de TVA sur les produits pétroliers grimpent en flèche. On peut donc abaisser d'autant la TIPCE (taxe sur les produits pétroliers) sans que l'Etat ne perde de ressources. L'attentisme gouvernemental fut d'une rare hypocrisie puisque il permit d'engranger plus d'un milliard de recettes supplémentaires en deux mois, en ponctionnant les ménages au moment où ils n'avaient le choix que de passer à la caisse ou de renoncer à partir en vacances. On s'oriente apparement dans cette direction, mais après ce rush. Trop tard et trop peu... unanimité contre.
Exemple parfait de la méthode qui consiste à ne pas choisir et à prendre les citoyens pour des imbéciles. Je suis pour ma part persuadé qu'une augmentation assumée (accompagnée de mesures adéquates) aurait fait moins mauvais effet que cette hypocrisie. Comment un membre de l'aile gauche du PS, Benoit Hamon, peut-il ne pas descendre en chute libre dans l'opinion quand il doit assumer en silence un tel non choix et qu'il est en charge de l'économie sociale et solidaire?
On ajoute à cela les divagations d'une Taubira que personne n'ose remettre au pas, dont le discours est certes cohérent et confirmé par les faits (les courtes incarcérations génèrent plus de récidive que les peines alternatives), mais très décalé. Dans le contexte actuel, il n'a aucune chance de déboucher sur quoi que ce soit de concret parce que les moyens budgétaires font terriblement défaut pour réformer la politique pénale en créant ces peines... et la population en est consciente, amenée à penser que la ministre ne veut tout simplement plus réprimer une délinquance quotidienne qui lui pourrit la vie.
Il est hallucinant que la feuille de route de la Garde des Sceaux n'ait pas été dressée au préalable avec réalisme, que mission ne lui ait pas été donnée, par exemple, qu'à la fin de la législature, le judiciable (accusé ou plaignant) bénéficie de procès tenus dans un délai raisonnable. Cela aurait certes été moins glamour de mettre les mains dans le cambouis de la machine, mais au final autrement populaire comme... générateur d'économies et de moins d'injustices.
Quand on ajoute à cela le plus grave, gardé pour la fin : la soumission à la "règle d'or" tant honnie par le candidat mais à laquelle s'est rallié le Président, sous prétexte d'un virtuel "volet croissance" n'existant que dans l'imagination des européistes bêlants. Président qui, en plus, escamote le référendum indispensable sur cette question fondamentale (on voit mal sur quoi on fera un référendum si on ne pose pas celle-ci): on a tous les éléments du désenchantement.
Décidément, la méthode a ses limites de même que la "normalitude". C'est normal de prendre le train pour partir en vacances. Ca l'est moins, de convoquer la presse pour assister au départ et communiquer dessus. Surtout quand cette presse appelée à la gare est menacée de procès quinze jours plus tard pour avoir diffusé des photos du couple qui se baigne à Brégançon: il faut avoir une ligne claire vis à vis de la vie privée ; on ne peut pas s'en servir quand on le veut, et braire quand elle est exposée quelques jours après.
benjamin borghésio
Les commentaires récents