Cela fait plus de vingt ans que ça dure - depuis que le cours de l'or est remonté en flèche. La situation risque d'échapper à tout contrôle.
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Le point d'orgue fut atteint il y a quelques mois pendant la visite présidentielle de Sarkozy en campagne électorale à Maripasoula, alors que la région était surprotégée: à quelques kilomètres de là, sur le site de Dorlin, un assaut de bandits contre un placer causa la mort d'au moins six personnes sans que les autorités réagissent autrement que par une gesticulation tardive: la constatation des faits par les gendarmes ne fut opérée que le lendemain et il est permis de se demander, dans ces conditions, si un quelconque secours aurait pu être apporté à des blessés.
Plus récemment et toujours à Dorlin, une bande de tueurs (dont la spécialité est de détrousser les orpailleurs, clandestins ou non, en semant la terreur et souvent la mort) dirigée par le désormais célèbre Manoelzinho tendit une embuscade à une patrouille de gendarmes assistés de militaires du 2ème RIMA à qui ils ne laissèrent aucune chance (les bandits sont dotés d'armes de guerre, équivalent des M16): deux soldats tués sur le coup, deux gendarmes grièvement blessés.
On notera que les forces armées de Guyane ne disposent qu'épisodiquement d'hélicoptères en nombre - les promesses faites il y a des années n'engageant que ceux qui y croient - ce qui diminue considérablement leurs capacités d'intervention dans la jungle - surtout quand ces hélicos, non militarisés, ne sont pas blindés: ils ont déjà essuyé des tirs qui ont blessé les équipages.
Dans ces conditions et bien que l'arsenal législatif qui évolua il y a quelques années sous l'impulsion de Taubira permet enfin la destruction sur place du matériel d'orpaillage qu'on ne peut pas saisir compte tenu de son volume et de son poids, l'action des gendarmes pour protéger le milieu littéralement ravagé (déforestation sauvage, boues, mercure, pollution par hydrocarbures, etc.) est forcément inefficace... surtout quand le renseignement est dramatiquement limité. (On évoquera pudiquement ces confidences faites sur l'oreiller par de jeunes gendarmes mobiles qui ont croisé une bonne fortune, et qui lui expliquent naïvement où et quand ils seront bientôt: l'information fait le tour de la région en quelques heures)
"Manoelzinho" (interview surréaliste, lien) a pu faire 300 km dans la jungle, à pied et en quad (sur des pistes clandestines) sans que la gendarmerie mobilisée à un degré maximal ne l'interpelle. Ce sont les Brésiliens qui l'ont cueilli "comme une fleur" à Macapa, sans doute sur renseignement.
Il y a une question structurelle qui se pose, liée à la spécificité des opérations de maintien de l'ordre dans la jungle, confiées à la gendarmerie: le département subit des rotations régulières d'escadrons de gendarmes mobiles dont on ne conteste ni la motivation ni les aptitudes physiques - le temps des pandores bedonnants est révolu, du moins à ce niveau - mais dont il faut bien évoquer la compétence: est-on armé pour lutter contre des garimpeiros qui vivent en symbiose avec le milieu quand on accomplit une mission de quelques semaines - les déplacements intercontinentaux, les indemnités afférentes, les frais de casernement coûtant en plus une fortune?
Quand on retire le temps d'accoutumance au climat et celui dévolu à la formation (crapahuter dans la jungle et faire des contrôles radar sur le bord des routes voire maintenir l'ordre en cas de manifestation, c'est différent), ces gendarmes ne sont actifs que peu de temps - surtout lorsqu'en plus les hélicoptères ne sont pas disponibles: l'Armée de l'air a ses propres contraintes.
Cela fait des années qu'on fonctionne ainsi, pour un résultat presque nul: outre la recherche alluviale de l'or, les garimpeiros en sont à exploiter les gisements d'or natif en creusant de véritables mines avec de longues galeries (voir ci-contre), dans des conditions d'insécurité effrayantes pour eux-mêmes: or même délinquants, ils ne sont pas condamnés à mort.
Les orpailleurs légaux sont soumis à une insécurité terrifiante à cause des bandes armées qui les détroussent, et la petite manne touristique guyanaise se tarit: il devient de plus en plus aléatoire de remonter les fleuves (je n'évoque même pas les populations amérindiennes qui ne peuvent plus ni chasser, ni pêcher).
Quelles solutions seraient viables? "Assommez, ne tapotez point" disait Clausewitz.
Tout d'abord, mettre fin à la sacro sainte polyvalence des gendarmes mobiles: le crapahutage dans la jungle est par trop spécifique. Sélectionner en nombre des éléments volontaires, motivés, aptes physiquement, vivant de préférence maritalement, et les envoyer en Guyane pour une mission de quelques années - à l'instar de leurs collègues qui travaillent dans les brigades locales.
Les former autrement que superficiellement. Sur place, à Regina, la Légion étrangère dispose d'un camp d'entraînement où passent des corps issus de multiples armées: les structures existent donc, de même que les instructeurs. Une connaissance sommaire du portugais basique ne serait pas inutile, loin de là. Ces troupes seraient autrement efficaces sans qu'il en coûte plus cher (moins de rotations)
Faire en sorte que le renseignement fonctionne. S'il est inconcevable en démocratie de compter sur les militaires - hors état d'urgence - pour assurer eux mêmes les interpellations (ils ne sont pas formés pour cela et ce serait la source de toutes les bavures), les Légionnaires comme le RIMA peuvent multiplier les patrouilles de repérage et transmettre les informations aux gendarmes. Peut être même obtiendra-t-on du Brésil qu'il mette à disposition les informations fournies par RAYTHON, le réseau de renseignement satellitaire de ce pays, qui couvre toute l'Amazonie. Enfin enquêter sérieusement sur les filière d'approvisionnement des sites, et de commercialisation de l'or extrait.
Donner à la gendarmerie les moyens héliportés suffisants, en quantité et en qualité, cela en permanence, en prévoyant des appareils militarisés.
Le désengagement des forces stationnées en Afghanistan ouvre à cet égard des perspectives: les garimpeiros ne sont quand même pas des Talibans.
Trouver la réponse à la question gênante que le nouveau procureur en poste en Guyane a posée: comment se fait-il que les saisies d'or soient si peu importantes, eu égard à ce qui est extrait? Chacun en Guyane a sa petite idée sur la question, il suffit de verbaliser les éléments de réponse, et de remédier au problème.
Continuer bien que ce soit un peu le mythe de Sisyphe la coopération avec le Brésil... dont il faut reconnaître qu'il a peu d'intérêt à ce que l'orpaillage clandestin cesse en Guyane: les populations frontalières sont parmi les plus misérables et l'or arrive en majorité à Oiapoque.
Ne pas rêver, cette coopération ne sera effective que quand le grand voisin trouvera une contrepartie. Si la France poursuit sérieusement sur son propre territoire, comme la loi le permet, les pédophiles qui, venus de Guyane, sévissent au Brésil voisin, on a là une monnaie d'échange.
Trouver une réponse pénale adaptée. Officiellement, presque tout le monde est contre l'orpaillage en Guyane... sauf les indépendantistes, ce qui est paradoxal: la logique voudrait qu'ls y fussent opposés tant que leur pays est réduit à un statut colonial (selon eux) pour que la richesse revienne à la future nation guyanaise: l'or n'est pas une ressource renouvelable.
Mais si on est en principe pour cette répression... on se dresse, tous corps confondus, contre les autorités lorsqu'elles sanctionnent ceux qui bâtissent des fortunes considérables avec les "à côté" de l'orpaillage: fournisseurs de matières premières (à Saint-Elie, une boîte de sardines peut coûter six euros), passeurs de main d'oeuvre, mécaniciens de pompes, etc. Il faut: frapper (lourd) au portefeuille des profiteurs et les faire payer de leur personne... c'est à dire incarcérer, ne serait-ce que symboliquement.
Idem pour les garimpeiros qui, neuf fois sur dix, faute de réponse judiciaire adéquate (tribunaux surchargés, manquant d'experts, d'interprètes, etc.) ne reçoivent qu'une "injonction de quitter le territoire français" et que le manque de crédits empêche une application effective. Parfois, on les raccompagne à la frontière (Oiapoque) et dans ce cas ils sont revenus avant les gendarmes, parfois même on leur demande d'y aller seuls.
Une très rare proportion d'entre eux est convoyée à Belém et bientôt, la ligne aérienne fermant, même cette option disparaîtra (à noter que sur ce point le Brésil fait preuve de bonne volonté, qui dispense d'autorisation consulaire préalables les reconduites de ses ressortissants)
Sans faire preuve d'esprit répressif démesuré, une entrée clandestine en France, une destruction massive de l'environnement, un pillage des ressources doivent être sanctionnées lourdement, par des peines présentant un caractère dissuasif - les droits de la défense étant évidemment reconnus. On risque en pratique davantage en ramassant quelques edelweiss dans la Vanoise qu'en déboisant dix hectares de jungle guyanaise pour remuer trois cent tonnes de terre, polluer massivement une rivière et voler un kilo d'or! Situation paradoxale s'il en est...
Rivière en zone "naturelle" avec sa boue, son mercure, etc.
Enfin, faire de la pédagogie! La plupart des garimpeiros sont de pauvres bougres qui gagnent très mal leur vie, qui ruinent leur santé (cachexie, leishmaniose, paludisme, hépatites, maladies de Lymes ou de Chagas, etc.), qui courent le risque de se faire assassiner pour qu'on vole leurs maigres gains. La diffusion de messages d'avertissements, de spots publicitaires sur les radios et télévisions brésiliennes du Nord et du Nordeste contribueraient sans nul doute sinon à tarir le flux d'immirants, du moins à le réduire.
Une fois le territoire "nettoyé" (comme il l'était dans les années quatre-vingt), l'effort pourra peut être se relâcher sans être tout à fait abandonné. J'ai le souvenir du moment où on a laissé des barges s'installer par dizaines sur les fleuves sans susciter la moindre réaction. Quel signal donne-t-on avec un tel laxisme?
benjamin borghésio
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