Pas question de censurer toutes les démarches liées au commerce dit équitable, mais on a le droit de s'interroger sur certaines dérives. Parce que faire péter la thune sur la mauvaise conscience des bobos, ce n'est pas trop grave, mais arnaquer le clampin moyen, c'est différent.
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Prenons l'exemple cité par le Nouvel Observateur (lien), qui encense la société coopérative "Tudo Bom?"
Extraits
(Le début de la chaîne - à savoir la production de coton bio dans une région du Nordeste particulièrement déshéritée)
Ce sont ces mêmes transporteurs qui apportent à coudre les pièces découpées dans le fameux coton bio cultivé dans le Nordeste, région la plus pauvre du Brésil. Dans son champ du Rio Grande do Norte, près d'Apodi, José de Holanda, 43 ans, contemple les dégâts de la sécheresse qui sévit cette année : 9 hectares plantés de coton, de maïs, de sésame et de haricots brûlés par l'implacable soleil.
A certains endroits, il n'est tombé que 16 mm d'eau contre 600 pour une année normale. Dans le Nordeste, le sol est peu fertile, sec et rocheux. Le mélange des cultures permet de protéger les sols mais aussi d'éviter la dépendance au coton. Les acheteurs équitables exigent d'ailleurs de ne pas être les seuls clients des coopératives où ils se fournissent. Les haricots et le maïs permettent de se nourrir et le sésame assure une autre source de revenus.
Les chèvres sont pratiquement les seules à trouver leur bonheur sous ce climat semi-aride. Dans le Nordeste, le coton bio reste plus un enjeu social que productiviste. Le bio ne peut d'ailleurs pas entrer en compétition avec l'agriculture conventionnelle : dans le Cerrado, au sud du pays, la production, boosté aux engrais chimiques, grimpe à 4.000 kilos par hectare, ici, elle ne dépasse pas les 400 kilos.
/... Le rude travailleur y entretient toujours le rêve de l'or blanc que représente le coton. Sa rencontre avec le commerce équitable était logique : son engagement dans l'agro-écologie est lié à la lutte contre la dictature et à la bataille pour les terres nées dans les années 70. /....
José arrache un pied de coton séché : "Regardez cette racine. Elle a un fort pouvoir de capter l'eau. Le coton est une plante très résistante, tout à fait viable pour le Nordeste." De fait, le coton sait se montrer généreux. Il peut représenter une source de revenus significative. La récolte 2011 lui avait permis de d'obtenir 5.400 reals de la coopérative Coopapi à laquelle il adhère pour éviter les tarifs bas imposés par un revendeur. Avec le sésame et ses chèvres, il avait dégagé 10.000 reals supplémentaires. Pour 2012, ce père de trois enfants avait investi 1.500 reals [environ 620 euros, un peu moins de la valeur de deux salaires minimum, NDLR] pour planter ses neuf hectares. En pure perte ?
Tout le monde sait qu'il y a des années sèches. C'est moins dur maintenant. Avec l'agroécologie, nous avons pu installer des silos pour conserver les déchets végétaux destinés aux animaux. Il y a aussi de quoi nourrir toute la famille."
José est fier de produire en zone semi-aride. Grâce à ses réserves et à l'argent du coton, José ne devrait pas avoir à vendre de chèvres. Nombre de ses voisins y sont contraints, et comme ils vendent tous au même moment, le prix chute. Et José sait que la coopérative lui prendra sa récolte 2013, à un prix qui n'est pas lié au marché mais aux coûts de production des fermiers. En attendant, le client français de la coopérative se tourne vers d'autres producteurs bio, au Pérou ou au Paraguay. José est confiant : "Avec ce que j'ai gagné sur ce champ, j'ai déjà pu construire ma maison et me payer une tombe ici, chez moi."
La suite...
Mère de six enfants, Tati est heureuse de pouvoir travailler chez elle. /... Une machine d'abord, puis une autre, quatre aujourd'hui. Un tel outil de travail coûte 2.200 reals (900 euros), soit près de quatre mois de salaire moyen au Brésil. La micro-entrepreneuse procure aujourd'hui du travail à cinq employées. "Ce sont plutôt des collaboratrices en free-lance", précise-t-elle. Elle assure aussi la formation de jeunes apprenties. Il y a quelques années, une fois formées, ces dernières partaient coudre ailleurs. Désormais, elles préfèrent rester : Tudo Bom? paie le prix juste, en fonction des coûts. 2,50 reals pour un T-shirt, quand les autres tirent les prix entre 0,90 et 1,50.
Tati produit pour deux autres clients, mais son favori reste Tudo Bom?. C'est la petite marque qui l'a poussée à formaliser les statuts de sa micro-entreprise. Elle peut ainsi bénéficier d'aides. Les cotisations procurent une véritable protection sociale à l'équipe et, surtout, Tati peut ainsi accéder au crédit. Le client français, lui, garantit les prix, négociés avant commande avec les six ateliers auprès desquels il s'approvisionne. La marque s'engage aussi sur un minimum d'achat sur l'année et établit un planning. "Les autres acheteurs n'offrent pas de visibilité plus loin qu'une semaine, et ce sont eux qui imposent leurs prix."
La mise en place d'une évaluation régulière s'accompagne d'une prime de qualité qui peut représenter jusqu'à 15% du revenu. Le travail bien fait, c'est la fierté de Tati : "N'importe qui peut se lancer dans la couture mais une bonne couturière est respectée. Elle n'a pas besoin d'aller trouver du travail : on vient la chercher."
Au bout de la chaîne...
A Paris, les deux boutiques Tudo Bom? attendent les produits de la nouvelle collection avec impatience. Elle se veut plus stylée, plus "mode" : "développement durable et commerce équitable, ça ne veut pas nécessairement dire chiant et moche", estime Romain Michel, tout nouveau directeur de Tudo Bom? Brasil. "Nos clients ne doivent pas choisir nos produits par culpabilité mais par envie." Même si la marque reste attachée à ses principes d'origine : prouver qu'il est possible de produire sans détruire, en lien avec ceux qui font. "Au milieu de la grande distribution, nous sommes un aiguillon pour pousser les autres à faire un peu mieux."
La petite boîte se dit porteuse de sens, avant le profit. Tudo Bom? préfère d'ailleurs créer son propre marché : "Nous ne sommes ni comparables ni compétitifs avec le marché conventionnel. Dans un t-shirt conventionnel, le coton représente 1% du prix de revient. Que ce soit un T-shirt Carrefour à 5 euros ou un Colette à 200 euros, c'est le même coton, il n'y a que la marge qui change", explique Thomas Favennec, pilier de la marque créée par Jérôme Schatzman. Un T-shirt Tudo Bom? coûte lui autour de 40 euros. Un prix qui, entre le taux de change et les coûts de production, a pratiquement doublé depuis la création de la marque.
Lorsqu'on lui demande si, en changeant d'échelle, la marque ne risque pas de perdre ses principes fondateurs, le jeune homme sourit : "Ce n'est encore jamais arrivé qu'une entreprise de l'économie solidaire arrive à ce stade-là."
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C'est le moment de s'interroger. Le directeur de Tudo Bom? admet lui même que le prix du coton, pour un T-shirt, est marginal. Admettons que ce coton bio payé au juste prix et pas selon le sacro saint marché revienne plus cher... Rendement dix fois inférieur, mais a contrario pas d'engrais, pas de mécanisation intensive, nécessité de provisionner pour les années sèches... Comptons large et mettons un euro par T-shirt. La couturière est mieux payée que par les circuits normaux (2,50 R$, soit environ un euro)
Sorti de l'atelier, le T-shirt semble donc revenir à trois euros (j'ai compté large en ajoutant le filage et le transport inter-brésilien) contre un, prix de l'article venu de Chine ou du Bangladesh.
Même en tenant compte du transport naval, même en tenant compte des frais commerciaux... comment expliquer ce bon à 40 euros le prix de vente? Un esprit persifleur susurrerait que le commerce équitable permet certes à des gens qui travaillent dur de sortir de la misère pour accéder à une vie décente... mais en aval il permet aussi et surtout à d'autres de fort bien vivre.
Un mode de distribution des produits Tudo Bom? en ligne, moins onéreux et centré davantage sur les classes populaires ne permettrait-il pas de ne faire que trois culbutes plutôt que treize, et de vendre des T-shirt de qualité aux alentours de dix euros chez nous... ce qui aiderait considérablement les familles appauvries par la crise (puisqu'il n'est pas envisageable de planter du coton en France... on ne peut parler de relocalisation)
Autre manière de "voir le mal partout"... Mais je connais un peu le contexte brésilien. Nous n'avons pas de détails sur les salaires des "collaboratrices free lance" de Tati... et l'esprit coopératif ne devrait-il pas inciter à des emplois individuels plutôt que par sous-traitance, ou à des créations de coopératives ouvrière? Qu'il soit au moins permis de poser la question!
bernard borghésio
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