Paul de Backer rappelle certaines vérités historiques qui devraient inciter l'Allemagne à faire preuve de davantage de retenue.
Ici, une synthèse de son argumentation
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Angela Markel et Wolfgang Schäuble surfent avec brio sur l'amnésie collective et la mauvaise foi en déclarant qu'un traité acté ne se renégocie pas, ou que rien ne justifie qu'un pays ne paye pas ses dettes.
Parce que si on avait appliqué ces dogmes à l'Allemagne, elle ne serait qu'une puissance marginale contrainte au silence.
1/ La situation au moment de la capitulation sans conditions de mai 1945. Le plan Morgenthau, approuvé par les alliés, prévoyait un démembrement du Reich, scindé en puissances mineures privées d'industries, dans le but d'éviter une troisième résurgence de l'impérialisme qui ravagea l'Europe à partir de 1914 et de 1939. Lorsque Eisenhover, horrifié, visité le camp d'Ordhruf plein de cadavres décharnés, il imposa à toutes les personnes valides de Weimar de le visiter: "ainsi, ils ne pourront pas dire qu'ils ne savaient pas" et conclut: "certains prétendent que les Alliés ne savent pas pourquoi ils se battent; au moins ils savent contre quoi" avant de grommeler: "pendant des années, les Allemands devront s'estimer heureux de se contenter de deux repas par jour servis dans des roulantes: ils devront travailler très dur pour réparer leurs crimes".
2/ Divine surprise pour les Allemands, avec la guerre froide et leur instrumentalisation par les deux blocs. Autant les Soviétiques que l'OTAN estimèrent nécessaire le savoir-faire et l'industrie allemandes. D'où la renaissance de deux états dont l'économie fut stimulée: contrairement à ce qui fut acté lors du Traité de Versailles, on ne leur imposa que des indemnités de guerre "raisonnables".
3/ En outre, dès la création de la CECA, la RFA put vendre son charbon et son acier au prix mondiaux alors que le plan initial était de le confisquer - moins les besoins du pays calculés strictement - pour faciliter la reconstruction en Europe. Ventes qui constituèrent le moteur de son décollage.
4/ Autre excellente nouvelle: la renégociation des dommages de guerre de la RFA en 1951 abaissés à 49% du montant initial avec un rééchelonnement prévu jusqu'en 1981 (le dernier versement fut effectué en 1980). Y-aurait-il de bonnes renégociations, celles qui arrangent l'Allemagne et de mauvaises, quand elles concernent d'autres pays? Rééchelonner une forte dette - en période de croissance à deux chiffres qui permettait de payer de fortes échéances - c'est bon pour l'Allemagne,mais rééchelonner une dette colossale sur deux ans en période d'énorme récession, il n'en est pas question pour la Grèce?
Si on avait appliqué à l'Allemagne l'intransigeance dont se pare Merkel, ce pays ne serait qu'une puissance de rang très mineur, hors d'état de peser sur les affaires européennes. Cela devrait inciter les Allemands à plus de modestie. Et à faire preuve d'une infime partie de la compréhension que le monde manifesta à leur égard après qu'ils eussent mis le monde à feu et à sang.
5/Autre point à soulever. Certes la Grèce a été gouvernée en dépit du bon sens, avec la gabegie** que cela implique mais les Allemands ne s'en sont pas toujours plaints, litote. Après avoir agressé ce pays qui ne leur voulait aucun mal en 1941, ils s'y sont conduits avec une cruauté inouïe: en proportion de la population, les Grecs payèrent le plus lourd tribut pendant la guerre, avant même les Soviétiques et les Polonais, en particulier à causes de famines épouvantables provoquées par des razzias systématiques.
Mais sa diplomatie étant peu fiable, la Grèce fut le seul des pays martyrisés par le nazisme qui ne reçut pas d'indemnisation: ni pour compenser le vol du stock d'or de sa banque centrale, ni pour les dommages aux populations. Le montant de cette dette non honorée s'élève, intérêts compris, à 80 milliards d'euros passés par pertes (grecques) et profits (allemands).
Les Allemands se gaussent également de la corruption qui sévit en Grèce, qui permit de passer des marchés publics dans des conditions douteuses. Seulement...
La corruption en Grèce a existé et sans doute existe encore. Les deux cas les plus éminents sont ceux de l'attribution des marchés publics, respectivement de la téléphonie et des sous-marins grecs. Il s'agit de sommes [les pots de vin] qui dépassent les 20 millions d'euros, répercutées sur les prix de vente à la Grèce, donc payées par le contribuable grec. Les heureux gagnants de ces deux appels d'offres sont des multinationales allemandes. (Paul de Backer)
Pour parler clairement, les corrupteurs qui profitèrent d'énormes marchés (et continuent d'en profiter: l'Allemagne insiste pour que la Grèce en faillite ne limite pas ses dépenses militaires, étant le premier fournisseur d'Athènes en ce domaine) critiquent les corrompus. Difficile de faire preuve de plus de cynisme.
** Une véritable Europe des peuples aurait tout mis en oeuvre pour aider la Grèce à se doter de bons outils de gouvernance: moyen de dresser une assiette des impôts, un cadastre, etc.
6/ Autre énorme cadeau plus récent. Contre toute logique économique, dans un but politicien (se constituer un vivier de gens satisfaits qui voteraient CDU), lors de la réunification qui prit la forme d'une annexion pure et simple de la RDA, Kohl fixa la parité des Marks Est et Ouest à un pour un alors qu'au marché noir (qui reflète la réalité) ils s'échangeaient à 30 pour un et que des économistes estimaient que la parité réelle était plutôt de 400 "osties" pour 1 "westie".
Quelle qu'ait été la solidité de l'économie allemande, cette charge plus le poids de la "mise à niveau" de l'est rendait la Grande Allemagne vulnérable à n'importe quelle spéculation concertée... qui ne fut dissuadée que par le soutien sans faille apporté par toutes les banques centrales européennes. Là encore, on attend une manifestation de reconnaissance des Allemands.
Alois Alzheimer était allemand. Ce qui explique peut être la mémoire défaillante des dirigeants de ce pays.
benjamin borghésio
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