"De l’abandon au mépris", Le Seuil, 264 p., 19,50 €.
par Bertrand Rothé
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Cela fut officialisé avec le célèbre rapport que pondit Terra Nova, le machin à penser du Parti Socialiste, qui se défendit ensuite avec hauteur devant le scandale: "on les avait mal compris".
Mais depuis Boileau on sait que...
Ce qui se conçoit bien, s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire, arrivent aisément.
Terra Nova:
La classe ouvrière n’est plus le coeur du vote de gauche, elle n’est
plus en phase avec l’ensemble de ses valeurs, elle ne peut plus être
comme elle l’a été le moteur entraînant la constitution de la majorité
électorale de la gauche. La volonté pour la gauche de mettre en oeuvre
une stratégie de classe autour de la classe ouvrière, et plus
globalement des classes populaires, nécessiterait de renoncer à ses
valeurs culturelles, c’est-à-dire de rompre avec la social-démocratie.
"Gauche : quelle majorité électorale pour 2012″ (mai 2011)
Citons Bertrand Rothé (entretien publié par mediabenews)
En 1981, François Mitterrand est élu président de la République. Au
premier tour, les ouvriers ont plus voté pour lui que pour le communiste
Georges Marchais. Pourtant, trois ans plus tard, l’idylle s’achevait
avec Laurent Fabius et le tournant de la rigueur. A l’époque, par
exemple, le gouvernement affronte déjà l’hostilité des métallos
lorrains, car il fait le choix de ne plus avoir d’industrie sidérurgique
en France, en supprimant 21 000 emplois dans les usines nationalisées.
Il s’agit bien d’un choix politique, car, de son côté, l’Allemagne, avec
des coûts similaires, produit aujourd’hui 25% ou 30% de l’acier
européen.
Il est le fait autant du PS que des élites françaises en général. Il
consiste à représenter les ouvriers en imbéciles violents, voire
racistes. Symptomatique est la désignation du Front national comme "le
premier parti ouvrier".
Le monde ouvrier, le plus souvent, n’est pas
inscrit sur les listes électorales. S’il l’est, il s’abstient, et quand
il vote, il vote en majorité à gauche, ensuite seulement à droite et,
pour une partie, à l’extrême-droite. Les paysans, les patrons de PME et
les employés votent plus FN que les ouvriers. Oublier ces faits témoigne
d’une vieille haine de classe, bien visible notamment après la victoire
du «Non» au référendum de 2005. Croyez-moi, les ouvriers avaient
pourtant bien lu le projet de constitution européenne, surligneur en
main !
Le PS n’a jamais été une force de résistance face aux progrès du
libéralisme porté par l’Union européenne. Au contraire, il a, plus que
les autres partis, contribué à ces progrès. Il faut revenir à 1983, où,
après le tournant de la rigueur, il doit faire le deuil de son programme
originel. L’Europe va faire office de projet de substitution. Sans
projet précis à ce sujet, Jacques Delors, ministre de l’Economie puis
président de la Commission, est à l’écoute de la «Table ronde
européenne», un lobby patronal qui veut renforcer la concurrence pour
créer des géants économiques comme aux Etats-Unis et au Japon.
L’Acte unique de 1986 ouvre un âge d’or des fusions-acquisitions.
Mais les socialistes ont oublié l’avertissement de Pierre Mendès-France,
en 1957, pour qui une telle ouverture appelait d’abord «l’égalisation
des charges et la généralisation rapide des avantages sociaux à
l’intérieur de tous les pays du marché commun». Au début des années
2000, on a ainsi intégré à l’UE les pays de l’Est, dont certains
affichaient un salaire minimum inférieur à 200 euros.
Il a longtemps eu à disputer ce rôle au Parti communiste. Ce n’est
donc pas systématique, mais il l’a été dans certaines régions, le Nord
par exemple. Comme le disait une candidate écologiste, à Hénin-Beaumont,
«même un chien avec un chapeau PS serait sûr d’être élu». Dans certains
villages ouvriers, tout le monde on presque vote ou votait socialiste.
Mais attention, de larges pans de la classe ouvrière étaient aussi
acquis aux gaullistes ou aux chrétiens-démocrates.
A partir des années 1980, en revanche, les socialistes ont abandonné
cette catégorie sociale pour se consacrer à la défense des minorités
ethniques. Et pas de tous les immigrés, pas des vieux par exemples : des
jeunes immigrés, sous la devise un brin condescendante «Touche pas à
mon pote». C’est médiatique, ça passe bien, ça fait festif. D’ailleurs,
le travail est alors invité à devenir une fête. Et en Lorraine, Jacques
Chérèque, le père de François, délégué pour le redéploiement industriel,
propose de remplacer les aciéries par un parc d’attraction sur le thème
des Schtroumpfs.
Au juste, il n’y a jamais eu de classe ouvrière absolument homogène,
il vaudrait mieux parler de monde ouvrier. Mais il est absolument faux
d’affirmer que celui-ci soit en voie de disparition. En 2003, Aurélie
Filipetti, aujourd’hui ministre de la Culture, écrivait un roman
intitulé : «Les derniers jours de la classe ouvrière». Alors qu’à
l’époque, celle-ci était encore le premier groupe social de France !
Bien sûr, les effectifs vont diminuant, et les ouvriers sont désormais
éclatés en de multiples catégories et statuts, notamment depuis l’essor
de l’intérim.
Mais je crois que, si cette catégorie a perdu de son homogénéité,
c’est aussi parce que le discours qui la constituait est lui-même en
déclin. On n’existe qu’à travers le regard des autres. Or, le monde
intellectuel a abandonné la classe ouvrière. Des économistes comme
Philippe Cohen, des sociologues comme Alain Touraine, font l’éloge de la
société post-industrielle, d’une France qui ressemblerait à un grand
musée. A la télévision, on ne montre jamais les ouvriers qu’en bloqueurs
de route ou en vandales.
Rien n’est perdu, car il y existe encore un courant qui se souvient
que les ouvriers ont des attentes vis-à-vis de ce parti : un Henri
Emmanuelli, par exemple, peut-être un Montebourg, si ce dernier n’est
pas entouré de gens qui lui sont imposés, comme c’est le cas
actuellement dans son ministère.
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Rien n'est plus vrai. Le vieux maçon arabe qui mania la pioche 45h par semaine pour construire nos infrastructures et nos logements jusqu'à 65 ans et qui est contraint de demeurer 183 jours par an dans un foyer Sonacotra pourri afin de conserver ses très maigres droits à retraite et couverture sociale, le PS s'en moque. Comme au fond, il se moque de son petit-fils dès lors que ce dernier ne se plie pas dans le moule de la victimisation et, malgré les a priori, les discriminations dont il est l'objet, s'arrache la peau pour faire de vraies études.
Le bon immigré pour le PS, c'est celui qui tient les murs. Qui demeure dans son ghetto culturel: s'il fait du rap, c'est tout bon. S'il prétend jouer du violoncelle, c'est suspect. A la rigueur, on aime celui qui sollicitera un emploi bidon de médiateur culturel appointé par la municipalité (socialiste) en contrat aidé. Mais un interne en médecine? C'est un "harki", sa réussite est forcément suspecte! (d'autant plus qu'il entre en concurrence avec la progéniture des militants socialistes)
Idem, le PS - encore plus EELV - méprisent le prolo franchouillard qui crie son désespoir quand sa région est ravagée par un séisme social. Toute culture est bonne à magnifier, sauf la culture française. Tout emploi est respectable, sauf ceux du monde ouvrier.
Représentation socialiste de "l'ouvrier"
L'auteur cite justement Emmanuelli pour l'absoudre du péché d'ouvrierophobie... On aurait pu ajouter le droitier Mauroy (qualificatif dont on l'affubla dans les années soixante-dix) qui fit ricaner pour avoir dit timidement:
"quand même, ouvrier, ce n'est pas un gros mot!".
Il évoque également Montebourg que pour ma part, je récuse: quand le Verbe l'emporte sur l'action, quand on est systématiquement désavoué, qu'on avale des couleuvres en gardant son poste, on est complice.
Point d'orgue... Hollande qui déclare sa volonté de privilégier le contrat face à la loi... Oubliant cette maxime de lacordaire jamais infirmée:
- Entre le fort et le faible, c'est la loi qui protège et la liberté [sous entendu: de négociation] qui opprime.
La vraie social démocratie avait une logique redistributive... Le PS qui n'ose encore pas se déclarer franchement social démocrate (en section, on disserte encore sur le front de classe, défense de rire) a même abandonné cette logique.
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En clair, sa seule utilité fut de nous débarrasser de Sarkozy, ce pitre caractériel qui nous menait au désastre en plus de nous ridiculiser aux yeux du monde entier, et qui aurait achevé de casser le peu qu'il reste de notre modèle social. Fasse la providence que le rejet que le PS inspirera ne nous amène pas la peste brune ou son pendant "petit pain au chocolat"...
Pour lire un extrait, concernant la fermeture du site Renault de Vilvorde (lien menant vers un document PDF)
benjamin borghésio
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