Le point de vue de Jscln, élève de Prépa issu d'un milieu dit "socialement défavorisé"
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C'est quand j'ai lu ça dans le Monde que je me suis mis en colère.
Heureusement il y a eu plus tard un point de vue différent, qui corrigeait ce ramassis de poncifs.
Ce que l'enfer des Prépas ne dit pas
Extrait
La souffrance en prépa, bien réelle pour certains, ne s'explique pas par la prépa en elle-même. Elle est le produit des stratégies scolaires et des attentes de plus en plus fortes envers leurs enfants de parents issus des classes moyennes et supérieures, dans un contexte de massification scolaire, de chômage endémique et durable, d'inflation des diplômes et d'incertitudes croissantes. Quant aux caractéristiques particulièrement anxiogènes du système éducatif français mises en avant par les enquêtes de comparaison internationale PISA, elles portent sur les élèves âgés de… 15 ans. "L'enfer" était le plus souvent là avant la prépa, à l'état latent, "la prépa" n'étant rien d'autre qu'un révélateur.
Nous sommes tous les deux passés par des "petites" prépas littéraires B/L et avons intégré une "grande" école à laquelle notre environnement immédiat ne nous destinait pas fatalement. Nous y avons découvert l'effet émancipateur des cours de certains enseignants passionnants parce que passionnés et de la lecture d'ouvrages qui nous donnait à voir, pour la première fois, que le monde était plus vaste que ce que l'on pouvait imaginer. Il est vrai que l'on avait pu dire à l'un d'entre-nous au lycée qu'il ne servait à rien de lire tel auteur dans le texte "puisqu'il y a des manuels et que c'est très bien". Il s'agissait alors de Pierre Bourdieu.
La question mérite d'être posée : combien de "jeunes gens" fait-on précocement rentrer dans le rang, en leur disant au lycée que lire Bourdieu et/ou rentrer en prépa, ce n'est pas pour eux? La part d'enfants d'ouvriers et d'employés en classes préparatoires est toujours aussi scandaleusement faible : 6,3% des élèves en prépa sont enfants d'ouvriers contre 50,8% enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures. Pourtant, l'expérience prouve qu'ils y réussissent souvent mieux que d'autres, et il est un fait que le passage par une prépa a une incidence positive sur la suite de leur parcours universitaire, par rapport à ceux qui n'ont pas eu cette chance.
L'un d'entre nous qui a enseigné dans un lycée situé en ZEP où plus de 50% des élèves étaient originaires d'une CSP "défavorisée" garde en mémoire tout le travail de persuasion qu'il a fallu accomplir auprès de deux élèves boursiers, aux notes "moyennes" (pas de mention au bac) pour oser demander à s'inscrire dans une classe prépa conventionnée ZEP – la seule prépa qu'il leur était par ailleurs concevable d'envisager. Ils sont aujourd'hui tous les deux en école de commerce.
Est-on si sûr en fin de compte que les premiers cycles universitaires soient moins "infernaux" et plus épanouissants que les prépas, avec leurs amphis bondés, leurs classes de TD surchargées, leur absence de suivi individualisé, leurs emplois du temps en forme de gruyère, leur spécialisation précoce, et leurs professeurs trop souvent inaccessibles? Et moins socialement inégaux, quand les enfants d'ouvriers à l'université sont 12,3% en licence, 7,7% en master et 4,7% en doctorat ? Sur-sélection insidieuse car progressive et silencieuse. Aucune statistique ne permet d'ailleurs d'affirmer que la consommation d'anti-dépresseurs ou le taux de suicide sont plus élevés chez les jeunes en prépa plutôt que dans les premiers cycles universitaires.
Remis en perspective, "l'enfer des prépas" a tout d'un mythe. Un mythe au service de la reproduction sociale. D'abord car il a un effet démobilisateur sur tous ceux que leur origine sociale et familiale ne destine pas "naturellement" à la prépa, alors même qu'ils ont largement les capacités d'y réussir, tandis que, aussi prétendument "infernales" que soient les prépas, les classes supérieures ne cesseront jamais d'y placer leurs enfants, qui y trouveront la voie royale pour atteindre les positions professionnelles et sociales les plus désirables.
Et cela, d'autant plus que ce mythe fonctionne aussi comme une prophétie autoréalisatrice. Ceux qui intègrent une Grande Ecole après avoir survécu à cet "enfer" pensent ne plus rien devoir à leurs origines, mais tout à leur mérite: c'est en puisant en eux-mêmes, qu'ils ont su trouver les ressources pour "tuer le dragon". Comme si survivre à deux ou trois années d'études intensives était ce qu'il y avait de pire à 18 ans…
Bien pire, sans doute, que d'être ouvrier intérimaire à la chaîne, ou bien en concurrence dans un centre de formation pour apprentis-footballeurs tout aussi sélectif et "infernal". Le vrai drame, au fond, réside dans l'idée qu'il n'y aurait point de salut dans notre société en-dehors de la compétition et des concours; autrement dit: en-dehors des filières sélectives – peu importe qu'elles soient intellectuelles ou sportives.
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Je n'ai rien à retirer de ce texte et je suis fatigué de voir que tout ce qui concourt directement ou non à l'ascension sociale est dévalorisé par des penseurs qui se veulent sans doute progressistes et animés des meilleures intentions du monde, mais qui tirent contre notre camp: celui des classes populaires.
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