L'intégralité de la réflexion.
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Le statut des animateurs de colonies de vacances - Enfin une réflexion lancée!
Cette note en trois parties est la première d'une série qui sera consacrée aux abus constatés dans les mondes associatif et coopératif, ou aux réformes qu'on pourrait faire pour améliorer leur fonctionnement.
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Parce que s'il y a un domaine dans lequel l'esprit bénévole et la militance en faveur de l'enfance ont bon dos, c'est celui là!
Une fois n'est pas coutume, c'est l'Europe qui est à l'origine d'une remise en cause qui aboutira peut être enfin à:
- un vrai statut du bénévolat pour les vrais bénévoles ;
- un "traitement social" équitable pour les autres, qui subissent des conditions d'exploitation indignes.
Ce qui est en question :
Les conséquences d'un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) d'octobre 2010 qui remet en cause le "contrat d'engagement éducatif" (CEE), un statut dérogatoire proposé aux moniteurs et directeurs de colonies de vacances et centres de loisirs.
La CJUE a jugé que ce contrat n'était pas conforme à la législation européenne car il ne prévoit pas de "période minimale de repos journalier" ni de temps de repos compensateur.
Eh oui... "l'animateur" ( "le mono" d'avant) est de 12 à 14 heures par jour en présence d'un grand nombre de gamins qui ne sont pas les siens (et cela pose des problèmes de "gestion des ressources humaines"). A cela il faut ajouter le temps de coordination et de préparation des activités, et de toute manière une astreinte de 24 heures sur 24, six jours sur sept (car c'est à lui qu'incombe "la charge" du petit bonhomme réveillé par un cauchemar, qui vient le voir parce qu'il se sent malade ou qu'il a fait pipi au lit et qu'il faut gérer la situation avec tact). Cela pour une indemnité dérisoire, ramenée au temps de travail et de présence.
Ajoutez à ces conditions de travail le fait que pour avoir le droit d'exercer ces fonctions, il faut être titulaire d'un diplôme (le BAFA) qui ne s'obtient qu'après avoir effectué des stages théoriques très chers, validé par un stage pratique (le premier séjour en tant qu'animateur stagiaire). Que ces stages sont organisés par des associations "militantes qui agissent en faveur de la jeunesse" (dont la compétence et le professionnalisme ne sont pas en cause: c'est vrai que si vous avez un minimum d'aptitudes au départ, quand vous sortez de ces stages vous savez vous occuper de gamins, et pas que faire de la garderie).
Sans compter que notre société devenant de plus en plus consumériste, les séjours classiques deviennent de plus en plus rares. Alors on vous suggère d'ajouter à la qualification de base une compétence en infomatique, en voile, en kite-surf, en varappe, en astronomie ou je ne sais quoi. Plus, pour un ou deux membres de l'encadrement, une formation aux premiers soins.
La facturation de ces stages? C'est "le prix à payer pour accéder à la militance en faveur de la jeunesse", vous explique-t-on avec componction. Seulement, et c'est là que se situe le lézard, les dirigeants et les principaux cadres de ces associations ne sont pas bénévoles: ils sont bel et bien payés pour faire leur travail, soit directement par les associations, soit par le biais des détachements de l'éducation nationale.
Si ces détachements étaient temporaires, on pourrait comprendre: après tout pour apprendre comment on doit éduquer des enfants (car le séjour en colo, c'est un moment éducatif de très grande qualité quand c'est bien mené, même si ça n'a rien de scolaire) autant être formé par des pros... quoique le boulot dans une classe et dans une colo, c'est très différent. Une "passerelle" de deux ou trois ans avant de revenir au coeur du métier, ça ne me choquerait absolument pas. Une rupture définitive, si.
Parce que quand vous êtes parvenus à sortir de la classe, c'est un aller sans retour. Ou vous faites carrière dans votre association "militante", ou vous pratiquez le jeu de chaises musicales pour passer de l'une à l'autre avant de coopter votre successeur.
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Et c'est comme cela que des FOL (fédérations des oeuvres laïques) organisent des classes transplantées avec les instituteurs des gamins (qui les auront sur le dos à temps quasiment complet et pour cela auront dû chambouler leur propre vie de famille), quelques animateurs sous-payés et, pour l'encadrement, des retraités chenus qui assurent la coordination générale, la tenue de l'infirmerie, l'intendance, bénévolement (ou avec une indemnité symbolique), "managés" par des "collègues" ("je suis un enseignant comme vous, je ne l'oublie pas") venus en avion puis voiture de location inspecter le centre d'hébergement en insistant avant tout sur "les coûts à maîtriser", qui ne dorment même pas dans le centre où il y a une chambre de passage mais dans un hôtel voisin - et je vous certifie que ce n'est pas un Formule 1, ni même un Campanile! Collègues qui, quand on évoque la modicité des indemnités d'accompagnement (pour les enseignants) ou du salaire des animateurs les économies de bouts de chandelles sur le budget "activités" vous balancent la sauce sur la militance en faveur de l'enfance! (il y en a au moins deux qui se reconnaîtront...)
Revenons à la contestation dont il est fait état ci-dessus.
Le "contrat d'engagement éducatif" (CEE) est un statut dérogatoire proposé aux moniteurs et directeurs de colonies de vacances et centres de loisirs (qui permet de leur imposer un temps de travail et d'astreinte énorme et de les payer des clopinettes).
Le CEE se situe entre travail salarié et engagement citoyen. Il concerne quelque 500 000 jeunes et se limite à 80 jours par an. Créé en 2006, ce contrat de travail, qui figure dans le code de l'action sociale et des familles et non dans celui du travail, peut être proposé par des collectivités, des associations mais aussi des entreprises privées si elles proposent un accueil collectif de mineur (ACM) à caractère éducatif.
La CJUE a jugé que ce contrat n'était pas conforme à la législation européenne car il ne prévoit pas de "période minimale de repos journalier" ni de temps de repos compensateur.
L'association Solidaires Isère l'a contesté devant le Conseil d'Etat sur plusieurs points, dont l'obligation du temps de repos journalier (11 heures). Pour Solidaires Isère, le CEE est "un vrai scandale", "exploitant de manière éhontée les jeunes 24 heures sur 24". "Sous couvert de bénévolat, les jeunes qui encadrent les colonies sont bien des travailleurs", insiste Jacques Dechoz, en appelant à des négociations sur l'emploi éducatif.
Je ne connais pas Solidaires Isère et je n'ai rien à battre de cette organisation, mais... Qui peut sérieusement s'élever contre une modification de dispositions hors code du travail, qui permettraient à un jeune en charge de lourdes responsabilités qui plus est dans un environnement... tonique, on va dire, de bénéficier d'un temps de repos de 11 heures sur 24, qu'il utilisera comme bon lui semblera entre sommeil et détente?
"En face", la riposte ne tarde pas.
C'est une démarche "volontaire et citoyenne" qui "n'est pas un métier et ne peut pas en être [un]", rétorque de son côté la Ligue de l'enseignement, qui plaide pour un "engagement volontaire occasionnel" et met en garde contre un renchérissement des coûts des colonies de vacances.
Le coup de la nourrice qui se sert à pleines mains dans le plat, rafle les meilleurs morceaux et les bouffe devant tout le monde, en se justifiant: "c'est pour le bébé, c'est pour le bébé! ainsi mon lait sera plus riche!"
Chiche! Que les dirigeants de la Ligue pour l'Enseignement bossent 80 jours pleins à raison de 14 heures quotidiennes, en présence d'enfants, pour quasiment rien. Qu'ils communiquent sur les frais de fonctionnement généraux de leur structure (par rapport à ceux d'une banale colo). On causera après.
Quant à la démarche volontaire et citoyenne, c'est du foutage de gueule pur et simple. L'immense majorité des animateurs fait ce job pour gagner un tout petit peu d'argent en respirant quand même un bol d'air, (et ce manque d'esprit militant qu'on nous sert à toutes les sauces ne les empêche pas, dans la plupart des cas, de très bien faire leur travail: j'ai dirigé des colos et des camps d'ados, et je me méfiais par dessus tout des "volontés sacerdotales" qui cachaient neuf fois sur dix une fragilité psychologique incompatible avec le travail demandé)
Notez qu'on fait l'impasse sur les entreprises privées qui proposent un accueil à caractère "éducatif", pompes à fric des plus rentables (il n'y a guère que les cliniques de la Générale de Santé qui doivent rapporter plus de blé): séjours thématiques à la mode du moment, facturés au minimum 1.000 euros la semaine à des parents pétés de thune qui croient compenser le manque de temps consacré à leurs mômes en dépensant un maximum, mais qui fonctionnent avec des animateurs payés une poignée de cerises.
Entreprises privées qui comme les fausses associations à but non lucratif devraient être astreintes au droit du travail commun. Que leurs animateurs aient au moins les garanties des GO. de clubs de loisirs bien connus.(ce n'est déjà pas énorme mais la progression serait considérable)
Certes, on ne mettra pas les animateurs de colos aux 35 heures. Déjà pour une raison pratique: le roulement des adultes référents serait déstabilisant pour les gamins. Ensuite parce qu'il faut savoir raison garder: on fait certes ce travail en partie pour la paye, mais il faut aussi avoir la mentalité et j'imagine mal un animateur regarder sa montre et larguer son groupe en cours d'activité parce que son temps est terminé.
Pour ma part, même quand j'étais "de repos", je jetais toujours un oeil discret à un moment de la journée sur les gamins qui m'avaient pour référent (sans me substituer au responsable du moment: nul n'est indispensable) Et quand j'accompagnais une classe transplantée, au cours de ma journée de détente, je ne serais jamais sorti faire la bringue le soir (elles étaient mémorables pourtant, mes bringues... des années après la station de Châtel doit en garder le souvenir^^) sans m'assurer qu'il n'y avait pas eu de bobo dans la journée, sans passer à l'infirmerie visiter les petits malades et dire bonsoir à toute la classe, gosse par gosse, une fois ceux-ci au lit (Et c'est ce que j'attendais de l'animatrice chargée de m'assister).
Mais entre l'esclavage actuel sous prétexte de "militance" et de "volontariat sur la base du bénévolat" et la régime normal du salariat qui serait inapplicable, il y a plus que des nuances.
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Quand les municipalités mettent en place un service d'aide à domicile pour personnes dépendantes, elles payent les aide-ménagères (mal, mais selon le droit social): on ne parle pas de "militance" ni "d'acte citoyen" (si bénévoles il y a, ils se concentrent sur le "plus": aller faire la lecture, bavarder avec une mamie isolée, partager une tasse de thé, etc.).
Les "écoles de foot" des pupilles, des benjamins, des minimes, des cadets, fonctionnent en général grâce à des bénévoles dévoués qui doivent en plus subir les caprices et la pression des parents.
Dès qu'on arrive au niveau junior et senior, si d'aventure le club a des chances de passer dans la division supérieure, la municipalité cherche un entraîneur un coach rétribué selon le marché.
à cet âge, on est encadré par des bénévoles... quand ils ne doivent pas en plus mettre la main à la poche pour s'assurer et s'équiper.
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Quelles propositions formuler?
- Pour les motifs exposés ci-dessus, conserver un statut intermédiaire dérogatoire au code du travail, mais nettement plus favorable aux animateurs. Temps de repos minimal quotidien garanti, plafonnement du nombre d'heures de travail.
- Ne réserver ces dispositions dérogatoires qu'aux associations à but véritablement non lucratif. Finie, l'exploitation éhontée par des entreprises ou par des fausses associations, paravents qui masquent de véritables structures esclavagistes.
- Gratuité du BAFA, qui peut être "organisée". Pour ma part, le mien a été pris en charge par une municipalité "progressiste" (Villeparisis, pour ne pas la nommer), contre l'engagement de travailler en leur faveur pendant au moins trois séjours. A noter que cette mesure "sociale" n'empêchait pas cette commune pas plus riche qu'une autre - euphémisme - de payer très convenablement ses animateurs. Compte tenu du fait que nous n'avions aucun frais (nourriture, transport, etc.) nous gagnions quasiment autant qu'en occupant un banal emploi saisonnier. De ce fait Villeparisis n'avait que l'embarras du choix pour recruter et conserver de bons éléments... et cela relève des pratiques de bonne gestion.
- Pour compenser le surcoût inévitable de cette amélioration, basta avec la course à l'échalotte, le toujours plus dans les activités proposées aux gamins!
Il n'est désormais plus de vacances en collectivité concevables sans avoir fait du VTT, du kite-surf, de l'équitation, du rafting, de l'initiation à l'informatique, etc. Si! Si! Même au XXIe siècle, des gamins peuvent s'éclater avec les bons vieux tournois de football, les constructions de cerf-volants, les veillées feu de camp, le bricolage, les dominos, l'apprentissage du jeu d'échecs ou sa pratique voire... un peu de glandage (le gosse qui a envie de rester de temps à autre tranquille dans son coin à lire ou à rêvasser est suspect de pathologie mentale) C'est là que se situera la militance: démontrer qu'on peut (bien) vivre sans pour autant consommer de façon outrancière.
Pour des petits citadins, un tel moment vaut largement une séance d'équitation en manège
- Savoir s'arrêter dans l'hystérie sécuritaire qui coûte très cher et pour cela, mettre les médias qui déséquilibrent gravement l'information face à leurs responsabilités : un gosse qui se noie dans la piscine familiale non surveillée, c'est un tragique accident. Un autre en colo, victime d'hydrocution, ramené en trente secondes sur la berge par un MNS qui fait tout ce qu'il peut pour le ranimer, hélas sans succès, c'est un dysfonctionnement dont il faut trouver les responsables pour les sanctionner.
Il est statistiquement démontré que l'enfant en collectivité a sept fois moins de risques d'être victime d'un accident corporel qu'en famille et neuf fois moins, d'être victime d'un prédateur sexuel (la quasi totalité des agressions ayant lieu en famille ou dans l'environnement proche de cette dernière). Il n'empêche: chaque année ce sont vers les centres de vacances et de loisirs que se penche davantage la règlementation qui devient paranoïaque - et non seulement ça paralyse le fonctionnement normal mais ça a un coût. Pas question évidemment de sombrer dans le laxisme: juste savoir raison garder.
- Réorienter les donations (défiscalisées en partie comme pour tout ce qui est d'intérêt général) vers ce qui favorise la jeunesse en plein air. C'était désuet, mais la vente de timbres en sa faveur rapportait pas mal d'argent et quand le maître savait expliquer le pourquoi de l'opération, c'était une belle leçon d'éducation civique (à condition que le non acheteur comme le non vendeur ne soient pas stigmatisés)
A une réserve néanmoins, mais de taille: que les organismes bénéficiaires soient soumis à la transparence absolue et que les sommes collectées ne soient pas englouties dans des frais de gestion et de fonctionnement aberrants.
benjamin borghésio
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